Avis 2005
Le Conseil constitutionnel,
- Vu la saisine du Conseil constitutionnel par le Président de la République conformément à l’article 165 (alinéa 2) de la Constitution , par lettre du 28 mai 2005 enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel le 28 mai 2005 sous le numéro 85, aux fins de contrôler la conformité de la loi organique relative à l’organisation judiciaire à la Constitution ;
- Vu la Constitution , notamment ses articles 118 (alinéa 1 er ),119 (alinéas 1 et 2),120 (alinéas 1,2 et 3), 122, 123 et 125 (alinéa 2), 126, 163 (alinéa 1 er ), 165 (alinéa 2), 167 (alinéa 1 er ), et 180 1 er tiret;
- Vu le règlement du 25 Rabie El Aouel 1421 correspondant au 28 juin 2000 fixant les règles de fonctionnement du Conseil constitutionnel ;
Le membre rapporteur entendu ;
En la forme
- Considérant que le projet de loi organique relative à l’organisation judiciaire, objet de saisine, a été déposé par le Chef du Gouvernement sur le bureau de l’Assemblée Populaire Nationale après avis du Conseil d’Etat conformément à l’article 119 (alinéa 3) de la Constitution ;
- Considérant que le projet de loi organique relative à l’organisation judiciaire déférée au Conseil constitutionnel aux fins de contrôler sa conformité à la Constitution a été débattu respectivement par l’Assemblée Populaire Nationale et le Conseil de la Nation et adopté conformément à l’article 123 (alinéa 2) de la Constitution par l’Assemblée Populaire Nationale en sa séance du 9 Rabie El Aouel1426 correspondant au 19 avril 2005 et par le Conseil de la Nation en sa séance du 3 Rabie Ethani 1426 correspondant au 12 mai 2005, lors de la session ordinaire du Parlement ouverte le 21 Moharram 1426 correspondant au 2 mars 2005;
- Considérant que la saisine du Conseil constitutionnel par le Président de la République aux fins de contrôler la conformité de la loi organique relative à l’organisation judiciaire à la Constitution est intervenue en application des dispositions de l’article 165 (alinéa 2) de la Constitution ;
Au fond
Premièrement :En ce qui concerne les articles 5, 6, 7, 8, 27 et 28 de la loi organique , objet de la saisine, pris ensemble en raison de la similitude de leur motif et rédigés comme suit :
« Art. 5 – Le tribunal des conflits règle les conflits de compétence entre les juridictions relevant de l’ordre de l’ordre judiciaire ordinaire et les juridictions relevant de l’ordre judiciaire administratif.
« Art. 6 – Le procureur général et le commissaire d’Etat sont représentés, chacun en ce qui le concerne, auprès de toutes les juridictions conformément à la législation en vigueur.
« Art. 7- La Cour suprême constitue l’organe régulateur de l’activité des cours et des tribunaux de l’ordre judiciaire ordinaire.
La Cour suprême veille au respect de la loi et assure l’unification de la jurisprudence.
« Art. 8- La Cour suprême statue sur les pourvois en cassation formés contre les jugements et arrêts rendus en dernier ressort , par les juridictions ordinaires ainsi que dans les autres cas prévus par la loi.
« Art. 27- Le Conseil d’Etat est l’organe régulateur de l’activité des tribunaux administratifs.
Il veille au respect de la loi et assure l’unification de la jurisprudence.
« Art. 28- Le tribunal administratif est la juridiction du premier degré en matière administrative.
Le nombre, les attributions, la composition, le fonctionnement et l’organisation des tribunaux administratifs sont fixés par la législation en vigueur.
- Considérant que le principe constitutionnel relatif à la répartition des compétences commande au législateur de veiller au respect, dans l’exercice de ses prérogatives législatives, tant du domaine que de l’objet du texte qui lui est soumis, dans les strictes limites de la Constitution ; que, ceci étant, il ne peut y insérer de dispositions ou de matières relevant, en vertu de la Constitution , de domaines d’autres textes;
- Considérant que le législateur a inséré dans les articles 5, 6, 7, 8, 27 et 28 de la loi organique, objet de saisine, des dispositions sans lien avec l’organisation judiciaire ; que d’une part, les articles 5, 7, 8 et 27 contiennent des matières relevant du domaine des lois organiques fixant l’organisation, le fonctionnement et les attributions de la Cour suprême, du Conseil d’Etat et du Tribunal des Conflits, conformément à l’article 153 de la Constitution ; que d’autre part, les articles 6 et 28 contiennent des matières qui relèvent du domaine législatif tel que défini par l’article 122 de la Constitution ;
- Considérant qu’en outre, les articles 5, 6, 7, 8, 27 et 28 reproduisent littéralement, dans leur teneur, des dispositions constitutionnelles ou légales ; que cela ne constitue pas en soi un acte législatif qui entre dans le domaine de la loi organique, objet de la saisine ;
- Considérant en conséquence, qu’en insérant dans la loi organique, objet de la saisine, des dispositions prévues ou réservées par le constituant à d’autres textes de lois, le législateur aura méconnu le principe constitutionnel de la répartition des compétences.
Deuxièmement : En ce qui concerne l’article 24 de la loi organique, objet de la saisine, et les articles 25 et 26 pris ensemble en raison de la similitude de leur objet et, ainsi rédigé:
« Art.24. – Il peut être créé auprès des tribunaux des pôles judiciaires spécialisés à compétence territoriale étendue.
La compétence d’attribution des pôles est prévue, selon le cas, par le code de procédure civile ou le code de procédure pénale.
Art. 25. – Les pôles judiciaires spécialisés comprennent les juges spécialisés.
Le cas échéant, il peut être fait appel à des assistants.
Les conditions et modalités de leur désignation sont fixées par voie réglementaire.
Art. 26. – Les pôles judiciaires spécialisés sont dotés de moyens humains et matériels nécessaires à leur fonctionnement. »
- Considérant qu’en vertu de l’article 122-6 (dernier membre de phrase), le constituant a édicté le principe de création de juridictions et a investi exclusivement le législateur de la prérogative de leur création par une loi ordinaire et non par une loi organique ;
- Considérant que le législateur a prévu à l’article 24 figurant au Chapitre 5 du Titre II relatif aux juridictions de l’ordre judiciaire ordinaire, de la loi organique, objet de saisine, la possibilité de créer des juridictions dénommées « des pôles judiciaires spécialisés », à l’instar de la Cour suprême, des cours, des tribunaux et des juridictions pénales spécialisées ;
- Considérant que le législateur, prévoyant, à son tour, à l’article 24 de la loi organique, objet de la saisine, la possibilité de créer des juridictions dénommées « des pôles judiciaires spécialisés » aura méconnu le principe constitutionnel de la répartition des compétences tel qu’il résulte des articles 122 et 123 de la Constitution , d’une part ;
- Considérant d’autre part, que le législateur en prévoyant à l’article 24 de la loi organique, objet de la saisine, une disposition législative de nature à entraîner, au moment de son application, un transfert de compétence, en vue de la création de juridictions, au domaine réglementaire du Chef du Gouvernement en vertu de l’article 125 (alinéa 2) de la Constitution ; que cela s’inscrit en contradiction avec l’article 122-6 de la Constitution ;
- Considérant, en conséquence qu’en édictant la possibilité de créer des « pôles judiciaires spécialisés » et qu’en se désistant de la prérogative de leur création au profit du règlement, le législateur aura outrepassé son domaine de compétence, d’une part, et porté atteinte à l’article 122-6 de la Constitution , d’autre part ;
- Considérant que les articles 25 et 26 de la loi organique, objet de la saisine, qui déterminent d’une part les modalités de la composition des « pôles judiciaires spécialisés », et d’autre part, leur dotation en moyens humains et matériels nécessaires pour leur fonctionnement ont un lien direct avec l’article 24 de la même loi ; qu’il échet de les déclarer sans objet.
Troisièmement : En ce qui concerne l’article 29 de la loi organique , objet de la saisine ainsi rédigé ;
« Art.29 .- Les juridictions prévues par la présente loi organique sont classées .
La classification intervient par arrêté du ministre de la Justice , garde des sceaux, après avis du Conseil supérieur de la magistrature. »
- Considérant que la constituant a prévu, en vertu de l’article 123 (5éme tiret) de la Constitution , de légiférer par une loi organique pour ce qui est de l’organisation judiciaire et de légiférer en vertu de l’article 122-6 de la Constitution par une loi ordinaire pour ce qui concerne les règles relatives à l’organisation judiciaire ;
- Considérant que le législateur est tenu, dans l’exercice de ses compétences législatives, de respecter la répartition constitutionnelle des domaines de chacune des deux lois susvisées ;
- Considérant que le législateur a prévu à l’article 29 de la loi organique , objet de la saisine, la classification des juridictions par arrêté du ministre de la justice, garde des sceaux ;
- Considérant que la classification des juridictions constitue une des règles de l’organisation judiciaire dont la mise en place , par une loi ordinaire, relève de la compétence du Parlement conformément à l’article 122-6 de la Constitution ;
- Considérant en conséquence, qu’en conférant au ministre de la Justice , garde des sceaux la prérogative de classification des juridictions par arrêté, le législateur aura méconnu expressément les dispositions de l’article 122-6 de la Constitution.
Quatrièmement : En ce qui concerne l’article 30 de la loi organique, objet de la saisine ainsi rédigé ;
« Art. 30 .- Les modalités de transfert aux nouvelles juridictions des procédures en cours devant les anciennes juridictions ainsi que la validité de tous les actes, formalités, décisions, jugements et arrêts intervenus avant l’entrée en vigueur de la présente loi organique sont fixées par voie réglementaire. »
- Considérant que le législateur a prévu à l’article 30 de la loi organique, objet de la saisine, une disposition transitoire qui renvoie à la voie réglementaire, les modalités de transfert des procédures en cours devant les anciennes juridictions vers les nouvelles juridictions ;
- Considérant que le législateur n’a créé aucune nouvelle juridiction dans la loi organique, objet de saisine ;
- Considérant, en conséquence, que l’article 30 de la loi organique, objet de la saisine, est sans objet.
Cinquièmement : En ce qui concerne les autres dispositions de la loi organique, objet de saisine :
- Considérant que le Conseil constitutionnel n’a pas constaté la non-conformité du reste des dispositions de la loi organique, objet de saisine, à une quelconque disposition ou principe constitutionnel.
Par ces motifs
Rend l’avis suivant :
En la forme
Premièrement : Les procédures d’élaboration et d’adoption de la loi organique relative à l’organisation judiciaire, objet de saisine, sont conformes aux dispositions des articles 119 (alinéa 3) et 123 (alinéa 2) de la Constitution.
Deuxièmement : La saisine du Conseil constitutionnel par le Président de la République aux fins de contrôler la conformité de la loi organique relative à l’organisation judiciaire, à la Constitution intervenue en application des dispositions de l’article 165 (alinéa 2) de la Constitution est conforme à la Constitution.
Au fond
Premièrement : Les articles 5, 6, 7, 8, 24, 27,28 et 29 de la loi organique relative à l’organisation judiciaire sont non-conformes à la Constitution.
Deuxièmement : Les articles 25, 26 et 30 sont sans objet.
Troisièmement : Les articles non-conformes à la Constitution et les articles sans objet sont détachables du reste des dispositions de la loi organique, objet de saisine.
Quatrièmement : Le reste des dispositions de la loi organique, objet de saisine, est conforme à la Constitution .
Cinquièmement : Suite à la déclaration de non-conformité des articles 5, 6, 7, 8, 24, 27, 28 et 29 à la Constitution et la déclaration des articles 25, 26 et 30 sans objet, le nombre d’articles de la loi organique, objet de saisine, devient 21 articles.
Sixièmement : Les articles de la loi organique, objet de saisine seront renumérotés.
La présent avis sera publiée au Journal Officiel de la République algérienne démocratique et populaire.
Ainsi en a-t-il été délibéré par le Conseil constitutionnel dans ses séances des 28, 29 Rabie Ethani et 1, 4, 5, 6, 7, 8, 9 et 10 Joumada El Oula 1426 correspondant aux 6, 7, 8, 11, 12, 13, 14, 15, 16 et 17 juin 2005.
Le Président du Conseil constitutionnel :
Mohammed BEDJAOUI
Les membres du Conseil constitutionnel :
Moussa LARABA
Mohamed HABCHI
Nadhir ZERIBI
Dine BENDJEBARA
Mohamed FADENE
Tayeb FERAHI
Farida LAROUSSI née BENZOUA
Khaled DHINA