Le Conseil Constitutionnel ,
Saisi par le président de la République, conformément aux dispositions de l’article 165 (alinéa 2) de la Constitution, par lettre n° 22 / P.R. du 02 Mai 1998, enregistrée au registre de saisine au secrétariat général du Conseil Constitutionnel, le 3 Mai 1998, sous le n° 16/98/R.S, aux fins de contrôler la conformité de la loi organique relative aux compétences, à l’organisation et au fonctionnement du Conseil d’Etat, à la Constitution ;
Vu la Constitution en ses articles 123, 152 ( alinéa 2), 153, 163 (alinéa 1er), 165 (alinéa 2), 167 (alinéa 1er) et 180 ;
Vu le Règlement du 5 Moharram 1410 correspondant au 7 août 1989, modifié et complété, fixant les procédures de fonctionnement du Conseil Constitutionnel ;
Le rapporteur entendu ;
En la forme :
– Considérant que la loi organique relative aux compétences, à l’organisation et au fonctionnement du Conseil d’Etat, déférée au Conseil Constitutionnel aux fins de contrôler sa conformité à la Constitution, a été adoptée respectivement par l’Assemblée Populaire Nationale en sa séance du 16 Chaoual 1418 correspondant au 13 février 1998 tenue en sa session ordinaire ouverte le 2 Joumada Ethania 1418 correspondant au 4 Octobre 1997 et par le Conseil de la Nation en sa séance du 26 Dhou El-Kaada 1418 correspondant au 25 mars 1998 tenue en sa session ordinaire ouverte le 3 Dhou El-Kaada 1418 correspondant au 2 mars 1998, et ce, conformément aux dispositions de l’article 123 (alinéa 2) de la Constitution ;
– Considérant qu’aux termes de l’alinéa 2 de l’article 165 de la Constitution , le Président de la République a saisi le Conseil Constitutionnel quant à la conformité de la loi organique relative aux compétences, a l’organisation et au fonctionnement du Conseil d’Etat,à la Constitution ;
Au Fond :
1. En ce qui concerne certains termes utilisés dans la loi organique :
a/ Sur l’intitulé et certaines dispositions de la loi organique :
– Considérant qu’en utilisant dans le titre de la loi organique, objet de saisine, ainsi que dans certaines de ses dispositions, les termes « attributions »,« fonctionnement » et «gestion», le législateur n‘a pas reproduit fidèlement les termes correspondants prévus à l’article 153 de la Constitution.
b/ Sur le terme « décident » prévu à l’article 29 de la loi organique, objet de saisine :
– Considérant qu’en utilisant le terme « décident » prévu à l’article 29 de la présente loi organique, objet de saisine, le législateur a donné une signification différente de celle que vise le contenu dudit article ; que cela ne peut résulter que d’une omission de sa part et qu’il y a lieu d’y remédier.
c/ Sur le terme « institution » prévu à l’article 44 de la loi organique, objet de saisine :
- – Considérant que le Conseil d’Etat en tant qu’organe Constitutionnel est institué par l’alinéa 2 de l’article 152 de la Constitution ;
- – Considérant que le constituant a utilisé l’expression « la mise en place » à l’article 180 de la Constitution ; que le législateur, en utilisant à l’article 44 de la loi organique, objet de saisine, le terme « institution » a introduit une ambiguïté quant à la signification qu’il entendait donner au dit article et qu’il y a lieu par conséquent, de lever.
2. Sur l’alinéa 3 de l’article 2 de la loi organique susvisé, ainsi rédigé :
« Il jouit de l’indépendance garantissant la neutralité et l’efficacité de ses travaux » .
– Considérant que le principe de l’indépendance du pouvoir judiciaire édicté à l’article 138 de la Constitution découle du principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs et tire sa signification des garanties constitutionnelles énoncées aux articles 147, 148 et 149 de la Constitution ;
– Considérant qu’en accordant les garanties d’indépendance aux seuls juges, le constituant entendait les accorder au Conseil d’Etat uniquement dans l’exercice de ses compétences judiciaires ;
– Considérant qu’en mettant en œuvre le principe d’indépendance du pouvoir judiciaire édicté à l’article 138 de la Constitution, le législateur a accordé en vertu de l’article 2 (alinéa 3) de la loi organique, objet de saisine, l’indépendance au Conseil d’Etat en tant qu’organe exerçant des compétences judiciaires et consultatives ; qu’en élargissant cette indépendance aux compétences consultatives du Conseil d’Etat, il a par conséquent, méconnu les dispositions constitutionnelles en la matière.
3. Sur l’article 3 de la loi organique ainsi rédigé :
« Le siège du Conseil d’Etat est fixé à Alger ».
– Considérant qu’en fixant le siège du Conseil d’Etat à Alger, le législateur a ignoré les pouvoirs que confèrent les dispositions de l’article 93 (alinéa 3) de la Constitution au Président de la République dans le cas de l’état d’exception .
4. Sur l’article 4 de la loi organique ainsi formulé :
» Le Conseil d’Etat donne son avis sur les projets de lois et ordonnances dans les conditions fixées par la présente loi et selon les modalités fixées par son Règlement intérieur.
Il peut également donner son avis sur les projets de décrets, sur saisine du Président de la République ou du Chef du Gouvernement, selon le cas » .
– Considérant qu’en permettant au législateur de fixer au Conseil d’Etat d’autres compétences par une loi organique, conformément à l’article 153 de la Constitution, le constituant entendait lui laisser la latitude de prévoir d’autres compétences judiciaires dans les limites du chapitre 3 de la Constitution intitulé « Du pouvoir judiciaire » ;
– Considérant que les compétences consultatives fixées par le constituant concernent exclusivement les projets de lois qui sont obligatoirement soumis au Conseil d’Etat, pour avis, avant leur examen en Conseil des ministres conformément à l’article 119 (alinéa in fine) de la Constitution ;
– Considérant qu’en soumettant les projets d’ordonnances et les projets de décrets présidentiels et exécutifs au Conseil d’Etat, pour avis, tel qu’il ressort de l’article 4 de la loi organique, objet de saisine, le législateur s’est arrogé le droit d’édicter d’autres compétences consultatives que les dispositions de l’article 119 (alinéa in fine) de la Constitution n’ont pas prévu et qu’il a par conséquent, méconnu les dispositions dudit article ;
– Considérant qu’en ce qui concerne les projets de lois pour lesquels le Conseil d’Etat a émis un avis avant qu’ils soient soumis au Conseil des ministres conformément aux dispositions de l’article 119 (alinéa in fine) de la Constitution, puis promulgués par le Président de la République dans les conditions prévues par la Constitution sous forme d’ordonnances, le respect des motifs sur lesquels le Conseil Constitutionnel a fondé le présent avis qui prévoit que les projets d’ordonnances sont exclus de l’avis du Conseil d’Etat, commande de préciser au visa de l’ordonnance relatif à l’avis du Conseil d’Etat, la date d’émission de celui-ci .
5. Sur l’article 13 de la loi organique :
– Considérant que l’article 13 figurant au chapitre 2 de la loi organique, objet de saisine, dispose que le Conseil d’Etat « peut de sa propre initiative, appeler l’attention des pouvoirs publics sur les réformes d’ordre législatif, réglementaire ou administratif qui lui paraissent conformes à l’intérêt général » ;
– Considérant qu’en attribuant au Conseil d’Etat le droit d’initiative pour appeler l’attention des pouvoirs publics sur des réformes d’ordre législatif, réglementaire ou administratif qui lui paraissent conformes à l’intérêt général, fût – il à titre facultatif, le législateur a conféré au Conseil d’Etat une compétence qui dépasse le cadre de ses compétences consultatives ; que l’intervention du Conseil d’Etat se limite aux projets de lois pour lesquels il est habilité à émettre un avis conformément à l’article 119 (alinéa in fine) de la Constitution ; et qu’en conséquence, il a méconnu les dispositions dudit article .
6. Sur les articles 15 (alinéa 2), 36 ,37,38 (alinéa 2), 39 (alinéa 1er ), 40 et 41 de la loi organique, objet de saisine, pris ensemble en raison de la similitude de leur objet :
– Considérant que les articles susvisés sont pris ensemble en raison de la similitude des motifs et de l’objet avec l’article 4 de la loi organique, objet de saisine .
7. Sur l’article 20 de la loi organique, objet de saisine, ainsi formulé :
» Le bureau du Conseil d’Etat élabore son règlement intérieur. Il est approuvé par décret présidentiel, sur proposition du président du Conseil d’Etat .
Le règlement intérieur précise l’organisation et le fonctionnement du Conseil d’Etat, notamment le nombre de chambres, les sections et leur domaine d’intervention ainsi que les attributions du greffe et des départements techniques et services administratifs » .
a/ Sur les alinéas 1er et 2 de l’article 20 susvisé pris ensemble :
– Considérant que l’article 20 susvisé, tel que rédigé, prévoit en son premier alinéa, un règlement intérieur pour le bureau du Conseil d’Etat ainsi que les procédures de son approbation et précise, en son second alinéa, l’objet du règlement intérieur du Conseil d’Etat ; qu’en conséquence ledit article a prévu deux règlements intérieurs .
b/ Sur l’alinéa 1er de l’article 20 susvisé :
– Considérant d’une part, que l’objet du règlement intérieur prévu à l’alinéa 1er de l’article susvisé n’est cité dans aucune disposition du texte de loi, objet de saisine ; qu’en conséquence, ledit règlement est sans objet précis ;
– Considérant d’autre part, qu’en prévoyant de soumettre le règlement intérieur du Bureau du Conseil d’Etat à l’approbation du Président de la République, le législateur a méconnu le principe de la séparation des pouvoirs qui exige que chaque pouvoir inscrive ses actes dans les limites de ses compétences constitutionnelles ;
– Considérant cependant, que si l’intention du législateur est de prévoir un règlement intérieur pour le bureau du Conseil d’Etat, les dispositions de l’article 26-1 et in fine et l’alinea 2 de l’article 20 de la loi organique, objet de saisine, sont à cet effet, suffisantes par elles-mêmes.
c/ Sur l’alinéa 2 de l’article 20 susvisé pris séparément :
– Considérant que le constituant a prévu expressément à l’article 153 de la Constitution que l’organisation, le fonctionnement et les autres compétences du Conseil d’Etat son fixés par une loi organique ;
– Considérant qu’en formulant cet alinéa de la manière susvisée, le législateur a introduit une ambiguïté quant à sa signification ; qu’il résulte de la seule lecture de cet alinéa que l’intention du législateur est de préciser les modalités d’organisation et de fonctionnement du Conseil d’Etat ; que dans le cas contraire, il aurait renvoyé des matières relevant du domaine de la loi organique, au règlement intérieur du Conseil d’Etat et méconnu, par conséquent, les dispositions de l’article 153 de la Constitution ;
– Considérant que l’absence du terme « modalités » ne peut être par conséquent que le résultat d’une omission du législateur ; que dans ce cas, l’alinéa 2 de l’article 20 susvisé est partiellement conforme à la Constitution ;
Par ces motifs :
Rend l’avis suivant :
En la forme :
1. La loi organique relative aux compétences, à l’organisation et au fonctionnement du Conseil d’Etat adoptée conformément aux dispositions de l’article 123 de la Constitution, est conforme à la Constitution .
2. La saisine du Président de la République sur le contrôle de conformité de la loi organique susvisée, à la Constitution conformément aux dispositions de l’alinéa 2 de l’article 165 de celle-ci, est conforme à la Constitution.
Au fond :
1. En ce qui concerne certains termes utilisés dans la loi organique :
a/ Le terme « attributions » est remplacé par « compétences » et les termes « fonctionnement » et « gestion » par « fonctionnement ». Les dispositions concernées seront, en conséquence, ainsi libellées :
Le titre : « loi organique n°98-01 du 4 Safar 1419 correspondant au 30 mai 1998 relative aux compétences, à l’organisation et au fonctionnement du Conseil d’Etat ».
Article 1er. – « La présente loi organique détermine, en application des dispositions des articles 119,143,152 et 153 de la Constitution, les compétences, l’organisation et le fonctionnement du Conseil d’Etat ».
Art.15. – « Le Conseil d’Etat est organisé, pour l’exercice de ses compétences judiciaires en chambres. Les chambres peuvent être subdivisées en sections.
Pour l’exercice de ses compétences consultatives, il est organisé en assemblée générale et en une commission permanente ».
Art.20. (2ème alinéa) – « Le règlement intérieur précise les modalités d’organisation et le fonctionnement du Conseil d’Etat, notamment le nombre de chambres, les sections et leur domaine d’intervention ainsi que les attributions du greffe et des départements techniques et services administratifs ».
Art.22. – « La composition du Conseil d’Etat telle que prévue à l’article 21 ci-dessus peut être complétée lors de l’exercice de ses compétences consultatives, par des conseillers d’Etat compétents en mission extraordinaire ».
TITRE II
« Des compétences du Conseil d’Etat ».
Chapitre I
« Des compétences judiciaires ».
Chapitre II
« Des compétences consultatives ».
b/ L’article 29 sera ainsi libellé :
Art.29. – « Les présidents de sections répartissent les affaires entre les magistrats des sections, président les audiences, rapportent et dirigent les débats et les délibérations ».
c/ L’article 44 de la loi organique, objet de saisine, est partiellement conforme à la Constitution.
Le terme « institution » prévu à l’article 44 susvisé est remplacé par l’expression « La mise en place ». L’article 44 susvisé sera ainsi rédigé :
Art.44. – « A titre transitoire et en attendant la mise en place du Conseil d’Etat, la chambre administrative de le Cour suprême demeure compétente pour les affaires dont elle est saisie ».
2. L’alinéa 3 de l’article 2 de la loi organique, objet de saisine, est partiellement conforme à la Constitution et sera ainsi libellé :
Art.2. (alinéa 3) – « Le Conseil d’Etat jouit de l’indépendance dans l’exercice de ses compétences judiciaires ».
3. L’article 3 de la loi organique, objet de saisine, est déclaré partiellement conforme à la Constitution et sera ainsi libellé :
Art. 3. – « Sous réserves des dispositions de l’article 93 de la Constitution, le siège du Conseil d’Etat est fixé à Alger ».
4.. Les articles 4 , 15 ( alinéa 2), 36, 37, 38 (alinéa 2), 39 (alinéa 1er) et 41 sont déclarés partiellement conformes à la Constitution et seront ainsi libellés :
Art. 4. – « Le Conseil d’Etat donne son avis sur les projets de lois dans les conditions fixées par la présente loi et selon les modalités fixées par son règlement intérieur ».
Art. 15. (alinéa 2) – « Pour l’exercice de ses compétences consultatives, il est organisé en assemblée générale et en une commission permanente ».
Art. 36. – « Le Conseil d’Etat délibère en matière consultative en assemblée générale et en commission permanente ».
Art. 37. – « L’assemblée générale du Conseil d’Etat se prononce sur les projets de lois ».
Art. 38.(alinéa 2) – « L’assemblée générale comprend le vice président, le commissaire d’Etat, les présidents de chambres et cinq (5) conseillers d’Etat ».
Art. 39. (alinéa 1er) – « Par dérogation aux dispositions de l’article 37 de la présente loi, la commission permanente est chargée de l’examen des projets de lois dans les cas exceptionnels où l’urgence est signalée par le Chef du Gouvernement ».
Art. 41. – « Dans chaque ministère, le Chef du Gouvernement désigne sur proposition du ministre concerné, des fonctionnaires, ayant rang au moins de directeur d’administration centrale, pour assister aux séances de l’assemblée générale, et de la commission permanente, et émettre un avis consultatif pour seulement les affaires des départements dont ils relèvent ».
5. L’article 13 de la loi organique, objet de saisine, est non conforme à la Constitution.
6. L’alinéa 1er de l’article 20 de la loi organique est non conforme à la Constitution.
7. L’alinéa 2 de l’article 20 de la loi organique est déclaré partiellement conforme à la Constitution et sera érigé en article ainsi libellé :
Art. 20. – « Le règlement intérieur précise les modalités d’organisation et de fonctionnement du Conseil d’Etat, notamment le nombre de chambres, les sections et leur domaine d’intervention ainsi que les attributions du greffe et des départements techniques et services administratifs ».
8. L’article 40 de la loi organique est non conforme à la Constitution .
9. Les dispositions totalement ou partiellement non conformes à la Constitution sont séparables du reste des dispositions de la loi organique, objet de saisine.
10. Le reste des dispositions de la loi organique, objet de saisine, est conforme à la Constitution.
11. Les articles 13 et 40 de la loi organique, objet de saisine, étant déclarés non conformes à la Constitution, il y a lieu, par conséquent, de revoir la numérotation des articles 14 à 46 de ladite loi qui comprendra 44 articles.
Le présent avis sera publié au journal officiel de la République Algérienne Démocratique et Populaire.
Ainsi en a-t-il été délibéré par le Conseil Constitutionnel dans ses séances des 13, 16, 20 et 22 Moharram 1419 correspondant aux 10, 13, 17 et 19 mai 1998.
Le Président du Conseil Constitutionnel
Said BOUCHAIR