Décisions : Année 2021
La Cour constitutionnelle,
Vu la Constitution, notamment ses articles 195, 197, 198 et 225 ;
Vu la loi organique n° 18-16 du 22 Dhou El Hidja 1439 correspondant au 2 septembre 2018 fixant les conditions et modalités de mise en œuvre de l’exception d’inconstitutionnalité ;
Vu la loi n° 13-07 du 24 Dhou El Hidja 1434 correspondant au 29 octobre 2013 portant organisation de la profession d’avocat ;
En vertu de la délibération du 23 Rabie Ethani 1443 correspondant au 28 novembre 2021 relative aux règles de fonctionnement de la Cour constitutionnelle en matière d’exception d’inconstitutionnalité portant application des Titres II et III du règlement du 7 Ramadhan 1440 correspondant au 12 mai 2019, modifié et complété, fixant les règles de fonctionnement du Conseil constitutionnel ;
Vu la décision de renvoi de l’exception d’inconstitutionnalité par la Cour suprême en date du 28 mars 2021, sous le numéro de rôle 00003/21, enregistrée au greffe du Conseil constitutionnel en date du 8 avril 2021, sous le numéro 01/2021 relative à une exception soulevée par (DJ. M. S), avocat agréé auprès de la Cour suprême et du Conseil d’Etat, représentant (B.A) qui soulève l’inconstitutionnalité de l’article 24 de la loi n° 13-07 du 24 Dhou El Hidja 1434 correspondant au 29 octobre 2013 portant organisation de la profession d’avocat ;
Vu la notification adressée à Monsieur le Président de la République, la notification adressée au Président du Conseil de la Nation, la notification adressée au Premier ministre en date du 11 avril 2021, et la notification adressée au président de l’Assemblée Populaire Nationale en date du 20 octobre 2021 ;
Vu la notification adressée au procureur général près la Cour de Sétif et au requérant (B.A) et aux défendeurs (KH.N) et (B. L) en date du 11 avril 2021 ;
Vu la décision du Conseil constitutionnel n° 02/D. CC/ EI/21 du 5 août 2021 portant prorogation de quatre (4) mois de l’actuel délai de statuer sur le dossier de l’exception d’inconstitutionnalité, à compter du 9 août 2021, notifiée aux autorités et aux parties ;
Le membre rapporteur, M. BAHRI Saadallah, entendu dans la lecture de son rapport ;
Après avoir pris connaissance des observations écrites des autorités et parties susmentionnées ;
Après avoir entendu les observations orales lors de l’audience publique tenue le 28 novembre 2021 ;
Des procédures :
Attendu que (B.A) a soulevé l’exception d’inconstitutionnalité de l’article 24 de la loi 13-07 du 24 Dhou El Hidja 1434 correspondant au 29 octobre 2013 portant organisation de la profession d’avocat, qui prévoit dans son alinéa in fine : « L’avocat ne peut être poursuivi pour ses faits, déclarations et écrits dans le cadre des débats ou de la plaidoirie à l’audience », l’article sur lequel s’est fondée la chambre d’accusation près la Cour de Sétif dans son arrêt du 29 août 2017 confirmant l’ordonnance en appel rendu par le juge d’instruction près le tribunal de Sétif en date du 28 juin 2017 portant rejet de l’instruction à l’encontre de (B.L), défendeur et avocat de la défenderesse en action civile (KH.N), en raison des propos insultants et diffamatoires ainsi que les atteintes à l’honneur et à la considération personnelle contenant dans sa requête introductive devant la section des affaires familiales au profit de sa mandatrice (KH.N) contre son mari (B.A), demandeur civil en le qualifiant de « pervers ».
Attendu qu’après pourvoi en cassation de l’arrêt rendu par la chambre d’accusation près la Cour de Sétif, le requérant a soulevé, par le biais de son avocat (DJ.M.S), l’inconstitutionnalité de l’article 24 (alinéa in fine) de la loi portant organisation de la profession d’avocat, devant la Cour suprême, en vertu d’une requête distincte, datée du 15 mars 2021, dans laquelle il prétend que ledit article porte atteinte à ses droits et libertés garantis par la Constitution, notamment ses articles 37 et 47, qui prévoient respectivement que « les citoyens sont égaux devant la loi et ont droit à une égale protection de celle-ci, sans que puisse prévaloir aucune discrimination pour cause de naissance, de race, de sexe, d’opinion ou de toute autre condition ou circonstance personnelle ou sociale » et que « toute personne a droit à la protection de sa vie privée et de son honneur ».
Au fond :
— Attendu que toutes les observations soulevées par le président du Conseil de la Nation, le président de l’Assemblée Populaire Nationale, le représentant du Gouvernement, le procureur général près la Cour de Sétif, la défense, les défendeurs, les parties intervenant dans l’exception, des représentants de l’union nationale des ordres des avocats et les ordres des avocats concernés, convergent vers la constitutionnalité de l’article 24 (alinéa in fine) de la loi portant organisation de la profession d’avocat, susmentionné ;
— Attendu que l’article 176 de la Constitution prévoit que « l’avocat bénéficie de garanties légales qui lui assurent une protection contre toutes formes de pression et lui permettent le libre exercice de sa profession dans le cadre de la loi » ;
— Attendu que l’article 24 (alinéa in fine) de la loi n° 13-07 susvisée, dispose que « l’avocat ne peut être poursuivi pour ses faits, déclarations et écrits dans le cadre des débats ou de la plaidoirie à l’audience » ;
— Attendu que la Cour constitutionnelle a constaté que le terme « immunité » a été évoqué et employé dans les observations présentées par certaines parties ; soucieuse du respect de la Constitution et du strict emploi et usage des termes et mots qui y sont contenus, sans vouloir l’outrepasser ou la charger de plus qu’elle n’en peut contenir, de peur de s’écarter de son cadre, la Cour constitutionnelle précise et rappelle que la notion de l’immunité concerne principalement et exclusivement le membre du Parlement, conformément à l’article 129 de la Constitution, ainsi que les membres de la Cour constitutionnelle, conformément à l’article 189 ; compte tenu de ce qui précède, ce terme ne peut être employé en dehors du cadre constitutionnel, d’autant plus que l’article 176 de la Constitution est clair quand il emploie les termes « garanties », « protection », « libre » et n’a jamais évoqué le terme « immunité » ;
— Attendu que l’exception porte sur l’inconstitutionnalité de l’article 24 (alinéa in fine) pour atteinte au principe d’égalité prévu à l’article 37 de la Constitution, cependant, ce principe concerne essentiellement les citoyens qui sont dans des situations semblables et ont les mêmes statuts juridiques. Or, la loi n° 13-07 dans son article 24 (alinéa in fine) a interdit de poursuivre l’avocat pour ses faits, ses déclarations et ses écrits dans le cadre des débats ou de la plaidoirie à l’audience, ce qui ne constitue aucune atteinte audit principe ;
— Attendu que si la compétence du législateur est de fournir les garanties légales consacrées dans l’article 176 de la Constitution, lors de l’exercice de l’avocat de sa profession, et que la loi n° 13-07 susmentionnée, a prévu à l’article 24 (alinéa in fine), cette garantie légale, il revient à la Cour constitutionnelle seule la compétence de contrôler la constitutionnalité de ces garanties ;
— Attendu que le droit à la défense est reconnu conformément à l’article 175 de la Constitution qui prévoit que « le droit à la défense est reconnu. En matière pénale, il est garanti » ;
— Attendu que le droit à la défense est considéré comme l’un des droits les plus importants prévus dans la Constitution, au vu de sa relation et sa complémentarité avec l’autre système de droits au profit de l’homme et du citoyen, et d’autre part, il est considéré comme une garantie fondamentale au bon fonctionnement de la justice et bienfondés et aux exigences du procès équitable, dès lors, cette garantie a été énoncée dans plusieurs instruments internationaux :
• Déclaration universelle des droits de l’homme, notamment en son article 11, à laquelle l’Algérie a adhéré en vertu de l’article 11 de la Constitution de la République algérienne démocratique et populaire de 1963 ;
• Pacte international relatif aux droits civils et politiques, notamment son article 14-3 (d), auquel l’Algérie a adhéré en vertu du décret présidentiel n° 89-67 du 16 mai 1989 ;
• Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, notamment son article 7, ratifiée par l’Algérie en vertu du décret n° 87-37 du 3 février 1987 ;
• Charte arabe des droits de l’homme, notamment son article 16, ratifiée par l’Algérie en vertu du décret présidentiel n° 06-62 du 11 février 2006.
— Attendu que la jouissance de l’avocat, dans l’exercice du droit à la défense en toute liberté, de la protection légale garantie dans la Constitution, afin qu’il soit à l’abri de toutes formes de pression, conformément à l’article 24 (alinéa in fine) de la loi n° 13-07 susmentionnée, est considérée comme l’une des exigences du procès équitable en qualité d’avocat et ne lui accorde aucun statut discriminatoire en sa qualité personnelle, ce qui n’est pas en contradiction avec le principe d’égalité entre les citoyens devant la loi, consacré dans l’article 37 de la Constitution, puisque l’avocat l’exerce dans le cadre de la Constitution et la loi et à l’occasion de l’exercice de sa profession ;
— Attendu que les garanties légales dont bénéficie l’avocat lors de l’exercice de sa profession, conformément à l’article 24 (alinéa in fine) susmentionné, lui permettent le libre exercice du droit à la défense garanti par la Constitution, et lui assurent la protection contre toutes formes de pression, ce qui n’est pas en contradiction avec le droit à la protection de la vie privée et de l’honneur, garantis en vertu de l’article 47 de la Constitution, dès lors que l’avocat exerce sa mission dans la mesure exigée par la défense dans le cadre de la Constitution et de la loi ;
— Par conséquent, en prévoyant la protection légale de l’avocat lors de l’exercice de sa profession et plaidoirie en audience et l’exercice du droit de la défense en toute liberté, conformément à l’alinéa in fine de l’article 24 de la loi n°13-07 portant organisation de la profession d’avocat, le législateur aurait exercé ses attributions constitutionnelles et consacré les garanties légales prévues à l’article 176 de la Constitution, ainsi, la disposition susmentionnée ne porte pas atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution ; qu’il convient par conséquent de déclarer constitutionnel l’alinéa in fine de l’article 24 de la loi portant organisation de la profession d’avocat.
Par conséquent, la Cour décide ce qui suit :
Premièrement : déclare la constitutionnalité de l’alinéa in fine de l’article 24 de la loi n° 13-07 portant organisation de la profession d’avocat.
Deuxièmement : le Président de la République, le Président du Conseil de la Nation, le Président de l’Assemblée Populaire Nationale et le Premier ministre, sont informés de la présente décision.
Troisièmement : la présente décision est notifiée au premier président de la Cour suprême. La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République algérienne démocratique et populaire.
Ainsi en a-t-il été délibéré par la Cour constitutionnelle en sa séance du 23 Rabie Ethani 1443 correspondant au 28 novembre 2021.
Le Président de la Cour constitutionnelle
Omar BELHADJ
Leïla ASLAOUI, membre ;
Bahri SAADALLAH, membre ;
Mesbah MENAS, membre ;
Djillali MILOUDI, membre ;
Amel Eddine BOULANOUAR, membre ;
Fatiha BENABBOU, membre ;
Abdelouahab KHERIF, membre ;
Abbas AMMAR, membre ;
Abdelhafid OUSSEKKINE, membre ;
Mohamed BOUTERFAS, membre.La Cour constitutionnelle,
Vu la Constitution, notamment en ses articles 165 (alinéa in fine), 178, 195, 197 (alinéa 1er), 198 (alinéa in fine) et 225 ;
Vu la loi organique n° 18-16 du 22 Dhou El Hidja 1439 correspondant au 2 septembre 2018 fixant les conditions et modalités de mise en œuvre de l’exception d’inconstitutionnalité ;
Vu la loi n° 08-09 du 18 Safar 1429 correspondant au 25 février 2008 portant code de procédure civile et administrative ;
En vertu de la délibération du 23 Rabie Ethani 1443 correspondant au 28 novembre 2021 relative aux règles de fonctionnement de la Cour constitutionnelle en matière d’exception d’inconstitutionnalité portant application des Titres II et III du règlement du 7 Ramadhan 1440 correspondant au 12 mai 2019, modifié et complété, fixant les règles de fonctionnement du Conseil constitutionnel ;
Sur arrêt de renvoi de la Cour suprême en date du 26 avril 2021, sous le numéro de rôle 00006/21, enregistré au greffe du Conseil constitutionnel en date du 5 mai 2021, sous le numéro 02/2021, relatif à l’exception soulevée par Me(B.M.E), avocat agréé près la Cour suprême et le Conseil d’Etat, au profit de l’exploitation agricole individuelle, représentée par son président (N.H), prétendant l’inconstitutionnalité de l’article 633 (alinéa 1er) du code de procédure civile et administrative susmentionné ;
Vu la notification adressée au Président de la République, la notification adressée au Président du Conseil de la Nation, la notification adressée au Premier ministre en date du 6 mai 2021 et la notification adressée au président de l’Assemblée Populaire Nationale en date du 20 octobre 2021 ;
Vu la notification adressée à l’appelant le nommé (N.H), à l’intimé le nommé (K.M), à l’huissier de justice (M.E), annexée au mémoire de l’exception d’inconstitutionnalité, par le biais du procureur général près la Cour de Skikda en date du 6 mai 2021, qui leur a été notifiée par l’huissier de justice (Q.A) en date du 19 mai 2021 ;
Vu la décision du Conseil constitutionnel n° 03/D. CC/ EI/21 du 22 Moharram 1443 correspondant au 31 août 2021 portant prorogation de quatre mois du délai pour statuer sur le dossier de l’exception d’inconstitutionnalité de l’alinéa 1er de l’article 633 de la loi n° 08-09 du 18 Safar 1429 correspondant au 25 février 2008 portant code de procédure civile et administrative, à compter du 6 septembre 2021;
Après avoir pris connaissance des observations écrites des autorités et des parties susvisées ;
Le membre rapporteur, M. Mosbah Menas, entendu dans la lecture de son rapport ;
Après avoir entendu les observations orales lors de l’audience publique tenue le 28 novembre 2021 ;
Des procédures :
Attendu que le nommé (N.H), représentant de l’exploitation agricole individuelle, a soulevé, par le biais de son avocat, Me (B.M.E), l’inconstitutionnalité de l’article 633 (alinéa 1er) de la loi n° 08-09 du 18 Safar 1429 correspondant au 25 février 2008 portant code de procédure civile et administrative, suite à sa notification de l’arrêt rendu par la Cour de Skikda, la Chambre foncière, en date du 20 mai 2020, qui annule le jugement dont appel et statuant de nouveau, l’obligeant elle et tous ceux qui la remplace de quitter la parcelle, dont le nommé (K.M), le défendeur dans l’exception, en a été expulsé, et de lui verser le montant de 1.354.680 DA ;
Attendu que l’avocat de la demanderesse a engagé une action devant le tribunal d’El Harrouch, section des référés, contre son adversaire en présence de l’huissier de justice qui s’est soldée par une ordonnance rendue par défaut n’étant pas susceptible d’aucune voie de recours, en date du 8 février 2021, à l’encontre du défendeur et réputée contradictoire vis-à-vis de l’huissier de justice, rejetant sa requête tendant à suspendre l’exécution de l’arrêt rendu en date du 20 mai 2021 et ordonnant en conséquence la poursuite de l’exécution.
Attendu que dans la requête de l’exception d’inconstitutionnalité, il est indiqué que la demanderesse a interjeté appel en date du 8 février 2021, contre l’ordonnance rendue par le tribunal d’El Harrouch devant la chambre des référés de la Cour de Skikda, et déposé un mémoire d’exception écrit et distinct par le biais de sa défense, en date du 7 mars 2021, sollicitant de surseoir à statuer sur l’affaire et renvoyer l’exception d’inconstitutionnalité à la Cour suprême, en soulevant l’inconstitutionnalité de l’article 633 (alinéa 1er) du code de procédure civile et administrative pour incompatibilité avec les dispositions de l’article 165 (alinéa in fine) de la Constitution, évoquant ainsi la violation du double degré de juridiction et du droit de faire réexaminer l’affaire par une plus haute juridiction, et que l’action en difficulté d’exécution, bien qu’elle ne peut porter sur le fond du droit et vise à émettre des ordonnances provisoires, néanmoins, la poursuite de son exécution engendre, dans certains cas, des répercussions irréversibles à l’avenir.
Attendu qu’en date du 14 mars 2021, la chambre des référés de la Cour de Skikda a rendu un arrêt renvoyant l’exception d’inconstitutionnalité de l’article 633 (alinéa 1er) susvisé, accompagné des requêtes et mémoires des parties, à la Cour suprême et ordonnant en conséquence de surseoir à statuer sur le litige jusqu’à ce que la Cour suprême se prononce ou lui parvient la décision du Conseil constitutionnel si l’exception lui sera renvoyée.
Attendu qu’après examen du dossier, la Cour suprême a rendu un arrêt en date du 26 avril 2021 sous le n° 00006/21 portant renvoi de l’exception d’inconstitutionnalité au Conseil constitutionnel.
Attendu que les observations écrites du président du Conseil de la Nation, du Président de l’ Assemblée Populaire Nationale et du Premier ministre, transmises au Conseil constitutionnel, portent sur la constitutionnalité de l’article 633 (alinéa 1er) susvisé et qu’il n’est pas en contradiction avec les dispositions de l’article 165 (alinéa in fine) de la Constitution.
Attendu que les observations écrites du nommé (N.H), représentant de l’exploitation agricole individuelle, demanderesse à l’action d’exception d’inconstitutionnalité, prétendent que le maintien en vigueur de l’article 633 (alinéa 1er) nonobstant sa non-conformité avec la Constitution, porte atteinte au droit des justiciables relatif au double degré de juridiction et au droit de faire réexaminer l’affaire par une plus haute juridiction, en soulignant que les actions en difficulté d’exécution ne portent pas sur le fond du droit et visent à rendre des ordonnances provisoires, néanmoins, la poursuite de l’exécution engendre, dans certains cas, des répercussions irréversibles à l’avenir, de ce fait, il sollicite de déclarer l’inconstitutionnalité de l’article 633 (alinéa 1er) du code de procédure civile et administrative.
Au fond :
Attendu que l’article 633 (alinéa 1er) susvisé, prévoit que « Le président du tribunal est tenu de statuer par ordonnance motivée, sur l’action en difficulté d’exécution ou sur la demande de sursis à exécution, au plus tard, dans les quinze (15) jours qui suivent la date de son enregistrement. Elle n’est susceptible d’aucune voie de recours » ;
Attendu que le constituant a consacré le droit au double degré de juridiction prévu à l’article 165 (alinéa in fine) de la Constitution qui prévoit que « La loi garantit le double degré de juridiction et précise les conditions et les modalités de son application » ;
Attendu que s’il relève du ressort du législateur de fixer les conditions et les modalités d’application de ce principe, toutefois, il revient à la Cour constitutionnelle, seule, d’évaluer leur constitutionnalité et de s’assurer qu’ils ne portent aucune atteinte aux droits et aux libertés garantis par la Constitution;
Attendu que lorsque le constituant a prévu que la loi garantit le double degré de juridiction, il entendait, ainsi, obliger le législateur à garantir l’exercice de ce droit et de fixer les conditions et les modalités de son application, sans que ces dernières ne le vident de son essence, ni restreignent ou excluent quiconque lors de son exercice ;
Attendu que si le Conseil constitutionnel s’est déjà prononcé sur l’inconstitutionnalité de l’article 33 (alinéas 2 et 3) de la loi n° 08-09 du 18 Safar 1429 correspondant au 25 février 2008 portant code de procédure civile et administrative, en vertu de sa décision n° 01/. CC/ EI/21 du 27 Joumada Ethania 1442 correspondant au 10 février 2021, en fondant sa décision sur les dispositions de l’article 165 (alinéa in fine) de la Constitution, la Cour constitutionnelle, se fondant sur ses prérogatives constitutionnelles de veiller au respect de la Constitution conformément à son article 185, maintient la protection de l’article précité en raison de la garantie constitutionnelle qu’il assure en instaurant le double degré de juridiction pour la première fois dans l’histoire de la République algérienne afin de protéger les droits des justiciables et d’assurer et préserver les principes du procès équitable ;
Attendu que la Cour constitutionnelle invoque l’existence d’une distinction claire et substantielle entre l’objet de l’exception et son domaine par le passé et dans la présente exception, étant donné que l’arrêt précédent, susvisé, concerne des actions portant sur le fond du droit et touchant fondamentalement les statuts juridiques des justiciables, et par conséquent, en vertu de l’article 165 (alinéa in fine) de la Constitution, il convient de donner aux justiciables l’accès au double degré de juridiction et ce afin de protéger les droits et libertés. Néanmoins, la présente exception porte sur le sursis à exécution ce qui confirme le caractère définitif du jugement, objet de difficulté d’exécution, et confirme aussi que les justiciables ont déjà bénéficié de la garantie du double degré de juridiction sans restriction ou privation, ce qui mène à conclure que le contenu de l’article 633 (alinéa 1er) objet de l’exception est en harmonie, tant à la lettre qu’à l’esprit, avec les dispositions de l’article 165 (alinéa in fine) de la Constitution ;
Attendu qu’en ce qui concerne la présente exception, la Cour constitutionnelle rappelle que le préambule de la Constitution, qui en fait partie intégrante, prévoit que « le peuple algérien exprime son attachement aux Droits de l’Homme tels qu’ils sont définis dans la déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1948 et les traités internationaux ratifiés par l’Algérie ». Compte tenu de ce qui est indiqué dans le pacte international relatif aux droits civils et politiques, la disposition de l’article 633 (alinéa 1er) de la loi n° 08-09 a consacré les dispositions stipulées dans l’instrument précité ;
Attendu qu’en vertu de ces dispositions, chaque partie au litige a bénéficié de son droit constitutionnel au double degré de juridiction avant que le jugement ne devienne définitif, et par conséquent, prétendre que l’article 633 (alinéa 1er) de la Constitution est contraire aux dispositions de l’article 165 (alinéa in fine) de la Constitution est inopérant, compte tenu de l’interprétation excessive de la disposition législative qui risque de l’éloigner des dispositions de la Constitution ;
Attendu que l’interprétation des dispositions législatives exige le respect total de l’ensemble des dispositions constitutionnelles en lien avec la disposition législative, notamment celle de l’article 178 de la Constitution, dans l’affaire en cours, qui stipule que : « Tous les organes qualifiés de l’Etat sont requis d’assurer en tout temps, en tout lieu et en toute circonstance, l’exécution des décisions de justice. La loi punit toute atteinte à l’indépendance du juge ou entrave au bon fonctionnement de la justice ainsi qu’à l’exécution de ses décisions ». Il en résulte clairement de cette disposition que même si le constituant a garanti l’exécution des décisions de justice rendues au nom du peuple algérien conformément à l’article 166 de la Constitution, il a également garanti, avant même la phase d’exécution, la jouissance du double degré de juridiction aux justiciables, conformément à l’article 165 (alinéa in fine) de la Constitution, instaurant ainsi les règles du procès équitable, garantissant l’équité envers les justiciables et consacrant le droit à la défense. Par conséquent, la Cour constitutionnelle confirme la conformité de la disposition législative, objet de l’exception, avec l’article 165 (alinéa in fine) de la Constitution ;
Attendu qu’il est bien établi que l’article 633 (alinéa 1er) susvisé ne comporte aucune violation du droit au double degré de juridiction, et que les actions en difficulté d’exécution ne portent pas sur le fond du droit qui a été définitivement jugé et que le double degré de juridiction exercé.
Par conséquent, la Cour constitutionnelle décide ce qui suit :
Premièrement : déclare la constitutionnalité de l’article 633 (alinéa 1er) du code de procédure civile et administrative.
Deuxièmement : le Président de la République, le Président du Conseil de la Nation, le Président de l’Assemblée Populaire Nationale et le Premier ministre, sont informés de la présente décision.
Troisièmement : la présente décision sera notifiée au premier président de la Cour suprême.
La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République algérienne démocratique et populaire.
Ainsi en a-t-il été délibéré par la Cour constitutionnelle en ses séances des 26 et 30 Rabie Ethani 1443 correspondant au 1er et 5 décembre 2021.
Le Président de la Cour constitutionnelle
Omar BELHADJ
Leïla ASLAOUI, membre ;
Bahri SAADALLAH, membre ;
Mesbah MENAS, membre ;
Djillali MILOUDI, membre ;
Amel Eddine BOULANOUAR, membre ;
Fatiha BENABBOU, membre ;
Abdelouahab KHERIF, membre ;
Abbas AMMAR, membre ;
Abdelhafid OUSSEKKINE, membre ;
Amar BOUDIAF, membre ;
Mohamed BOUTERFAS, membre.La Cour constitutionnelle,
Vu la Constitution, notamment en ses articles 165 (alinéa in fine), 178, 195, 197 (alinéa 1er), 198 (alinéa in fine) et 225 ;
Vu la loi organique n° 18-16 du 22 Dhou El Hidja 1439 correspondant au 2 septembre 2018 fixant les conditions et modalités de mise en œuvre de l’exception d’inconstitutionnalité ;
Vu la loi n° 08-09 du 18 Safar 1429 correspondant au 25 février 2008 portant code de procédure civile et administrative ; En vertu de la délibération du 23 Rabie Ethani 1443 correspondant au 28 novembre 2021 relative aux règles de fonctionnement de la Cour constitutionnelle en matière de l’exception d’inconstitutionnalité portant application des Titres II et III du règlement du 7 Ramadhan 1440 correspondant au 12 mai 2019, modifié et complété, fixant les règles de fonctionnement du Conseil constitutionnel ;
Sur arrêt de renvoi de la Cour suprême rendu en date du 12 septembre 2021 sous le numéro 00007/21, enregistré au greffe du Conseil constitutionnel le 16 septembre 2021 sous le numéro de rôle 03/2021, relatif à l’exception invoquée par le nommé (G.S) par l’intermédiaire de maître (B.A), avocat agréé près la Cour suprême et le Conseil d’Etat, par laquelle il soulève l’inconstitutionnalité de l’article 633 (alinéa 1er) de la loi n° 08-09 du 18 Safar 1429 correspondant au 25 février 2008 portant code de procédure civile et administrative ;
Vu la décision rendue par la Cour constitutionnelle sous le numéro 02/D.CC/E. I/21 en date du 30 Rabie Ethani 1443 correspondant au 5 décembre 2021 statuant sur l’exception d’inconstitutionnalité de l’article 633 (alinéa 1er) de la loi n° 08-09 du 18 Safar 1429 correspondant au 25 février 2008 portant code de procédure civile et administrative ;
Vu les notifications transmises au Président de la République, au Président du Conseil de la Nation, au Président de l’Assemblée Populaire Nationale et au Premier ministre le 19 septembre 2021 ;
Vu la notification transmise au procureur général près la Cour de Tizi Ouzou et la notification transmise au demandeur dénommé (G.S) et au défendeur dénommé (M.A) en date du 19 septembre 2021 ;
Après avoir pris connaissance des observations écrites présentées par les autorités et parties susmentionnées ;
Après avoir entendu le membre rapporteur Menas Mosbah ;
Des procédures :
Attendu que monsieur (G.S), demandeur de l’exception, a été locataire d’un fonds de commerce situé dans la rue des frères Belhocine, commune de Tizi Ouzou, wilaya de Tizi Ouzou appartenant au bailleur (M.A) représenté par son frère (M.M) en vertu d’un contrat de location notarié. Le bailleur, en vue de résilier le contrat de location, a donné congé au locataire tout en exprimant sa volonté pour une indemnité, de ce fait, un jugement avant dire droit au fond a été rendu par le tribunal de Tizi Ouzou, désignant l’expert (O.F) pour évaluer l’indemnité d’éviction. Le tribunal, en vertu de son jugement, a désigné l’expert (A.Z) pour accomplir la même mission, par conséquent, il a été statué sur la propriété du fonds de commerce, objet du litige, par un jugement rendu le 4 juillet 2018 et confirmé par l’arrêt rendu le 25 novembre 2018 rejetant l’affaire comme non fondée.
Attendu qu’après reprise d’instance par le bailleur, un jugement a été rendu en date du 29 mai 2019 écartant le rapport de la première expertise et homologuant la deuxième expertise, et par conséquent, a ordonné au locataire de quitter les lieux, et condamné le bailleur (M.M) à verser au locataire une indemnité d’éviction tel que fixée par le deuxième expert.
Attendu que lors des procédures d’exécution entamées par l’huissier de justice (T.K), le dénommé (G.M), frère du locataire, s’est opposé en déclarant que c’est lui qui occupe les lieux et exerce une activité commerciale et non pas son frère, par conséquent, l’huissier de justice a établi un procès-verbal de difficulté d’exécution, à la suite duquel a été rendue une ordonnance de référé le 24 mars 2021 ordonnant la poursuite de la procédure d’exécution du titre exécutoire, à savoir le jugement définitif rendu par la section commerciale et maritime.
Attendu qu’après recours en appel de ce jugement, le demandeur a soulevé une exception par l’intermédiaire de son avocat maître (B.A) en vertu d’un mémoire écrit et distinct en date du 5 avril 2021 relative à l’inconstitutionnalité de l’article 633 (alinéa 1er) du code de procédure civile et administrative, en se fondant sur le fait qu’elle soit en contradiction avec l’article 165 (alinéa in fine) de la Constitution en le privant ainsi de son droit au double degré de juridiction consacré par la Constitution.
Attendu qu’après examen du dossier, la Cour suprême a rendu un arrêt le 16 septembre 2021 sous le numéro 00007/21 renvoyant l’exception d’inconstitutionnalité au Conseil constitutionnel. Attendu que toutes les observations écrites transmises au Conseil constitutionnel par le Président du Conseil de la Nation, le Président de l’Assemblée Populaire Nationale, le Premier ministre et le procureur général près la Cour de Tizi Ouzou s’articulent autour de la constitutionnalité de l’article 633 (alinéa 1er) du code de procédure civile et administrative.
Au fond :
Attendu qu’en vertu de la délibération du 23 Rabie Ethani 1443 correspondant au 28 novembre 2021 relative aux règles de fonctionnement de la Cour constitutionnelle en matière d’exception d’inconstitutionnalité et portant application des Titres II et III du règlement fixant les règles de fonctionnement du Conseil constitutionnel du 7 Ramadhan 1440 correspondant au 12 mai 2019, modifié et complété, dont l’article 29 bis dispose que : « Lorsque le Conseil constitutionnel enregistre, avant de se prononcer sur l’exception d’inconstitutionnalité de la disposition législative, plus d’une décision de renvoi portant sur la même disposition législative, il se prononce au fond sur la première exception qui lui est soumise pour examen. Il se prononce sur les exceptions suivantes soulevées au sujet de la même disposition législative, par des décisions portant exceptions précédemment jugées»;
Attendu que la Cour constitutionnelle a précédemment jugé l’article 633 (alinéa 1er) du code de procédure civile et administrative comme étant constitutionnel en vertu de sa décision numéro 02/D.CC/E. I/21 du 30 Rabie Ethani 1443 correspondant au 5 décembre 2021, dès lors, il convient de la déclarer précédemment jugée;
Par conséquent, la Cour constitutionnelle décide ce qui suit :
Premièrement : déclare la constitutionnalité de l’article 633 (alinéa 1er) du code de procédure civile et administrative comme étant précédemment jugé en vertu de sa décision numéro 02/D.CC/E. I/21 du 30 Rabie Ethani 1443 correspondant au 5 décembre 2021.
Deuxièmement : le Président de la République, le Président du Conseil de la Nation, le Président de l’Assemblée Populaire Nationale et le Premier ministre, sont informés de la présente décision.
Troisièmement : la présente décision sera notifiée au premier président de la Cour suprême.
La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République algérienne démocratique et populaire.
Ainsi en-a-t-il été délibéré par la Cour constitutionnelle en ses séances des 26 et 30 Rabie Ethani 1442 correspondant aux 1er et 5 décembre 2021.
Le Président de la Cour constitutionnelle
Omar BELHADJ
Leïla ASLAOUI, membre ;
Bahri SAADALLAH, membre ;
Mesbah MENAS, membre ;
Djillali MILOUDI, membre ;
Amel Eddine BOULANOUAR, membre ;
Fatiha BENABBOU, membre ;
Abdelouahab KHERIF, membre ;
Abbas AMMAR, membre ;
Abdelhafid OUSSEKKINE, membre ;
Amar BOUDIAF, membre ;
Mohamed BOUTERFAS, membre.