Décision n° 01/D.C.C/EI/25 du 7 Rajab 1446 correspondant au 7 janvier 2025 relative à l’exception d’inconstitutionnalité des articles 10, 558, 559 et 567 de la loi n° 08-09 du 18 Safar 1429 correspondant au 25 février 2008, modifiée et complétée, portant code de procédure civile et administrative.
La Cour constitutionnelle,
Vu la Constitution, notamment ses articles 34, 35, 37, 42, 165, 177, 195, 197 et 198 ;
Vu la loi organique n° 11-12 du 24 Chaâbane 1432 correspondant au 26 juillet 2011 fixant l’organisation, le fonctionnement et les compétences de la Cour suprême ;
Vu la loi organique n° 22-10 du 9 Dhou El Kaâda 1443 correspondant au 9 juin 2022 relative à l’organisation judiciaire ;
Vu la loi organique n° 22-19 du 26 Dhou El Hidja 1443 correspondant au 25 juillet 2022 fixant les procédures et modalités de saisine et de renvoi devant la Cour constitutionnelle ;
Vu l’ordonnance n° 71-57 du 5 août 1971, modifiée et complétée, relative à l’assistance judiciaire ;
Vu la loi n° 08-09 du 18 Safar 1429 correspondant au 25 février 2008, modifiée et complétée, portant code de procédure civile et administrative ;
Vu la loi n° 13-07 du 24 Dhou El Hidja 1434 correspondant au 29 octobre 2013 portant organisation de la profession d’avocat ;
Vu le règlement fixant les règles de fonctionnement de la Cour constitutionnelle du 9 Safar 1444 correspondant au 5 septembre 2022 ;
Vu le règlement intérieur de la Cour constitutionnelle du 10 Safar 1444 correspondant au 6 septembre 2022 ;
Vu la décision n° 30/D.C.C/E.I/22 du Aouel Rabie Ethani 1444 correspondant au 26 octobre 2022 relative à l’exception d’inconstitutionnalité des articles 815, 826, 904, 905 et 906 de la loi n° 08-09 du 18 Safar 1429 correspondant au 25 février 2008 portant code de procédure civile et administrative ;
Vu la décision de renvoi rendue par la Cour suprême, sous le numéro de répertoire 24/00010 en date du 4 novembre 2024, enregistrée au greffe de la Cour constitutionnelle en date du 13 novembre 2024, sous le numéro 01/E.I/2024 relative à l’exception d’inconstitutionnalité des articles 10, 558, 559 et 567 du code de procédure civile et administrative, modifié et complété, au motif qu’ils sont en violation avec les droits et libertés garantis par la Constitution et les Conventions et les Chartes internationales pertinentes ratifiées par l’Algérie, et ce, à l’occasion du pourvoi en cassation formé devant la Cour constitutionnelle contre une décision rendue par la chambre foncière de la Cour de Djelfa ;
Vu les notifications transmises au Président de la République, au Président du Conseil de la Nation, au Président de l’Assemblée Populaire Nationale, au Premier ministre et aux parties, en date du 13 novembre 2024 ;
Après avoir pris connaissance des observations écrites présentées dans les délais légaux par les autorités et l’intervenant dans l’exception relatives à l’exception d’inconstitutionnalité des articles 10, 558, 559 et 567 du code de procédure civile et administrative ;
Après avoir pris connaissance des observations écrites présentées par le demandeur dans l’exception (M.B) en réponse aux observations écrites des autorités et de l’intervenant dans l’exception ; Après avoir entendu les deux membres rapporteurs dans la lecture de leur rapport écrit en audience publique, tenue le 7 janvier 2025 ;
Après avoir entendu les observations orales du demandeur dans l’exception, de la partie intervenante dans l’exception et du représentant du Gouvernement lors de la même audience ;
Après en avoir délibéré ;
Des procédures :
Attendu que le demandeur à l’exception (M.B) a introduit une affaire devant le tribunal de Birine à l’encontre de (B.K), par laquelle il a sollicité la protection du bien litigieux qu’il possède, et qui s’est soldée par un jugement portant rejet de l’action pour infondée, confirmé par l’arrêt rendu par la Cour de Djelfa en date du 11 mai 2023, objet du pourvoi en cassation devant la Cour suprême ;
Attendu que le demandeur à l’exception a enregistré, à l’occasion du recours en cassation, une exception d’inconstitutionnalité des articles 10, 558, 559 et 567 du code de procédure civile et administrative et ce, en vertu d’un mémoire écrit, motivé et distinct en prétendant qu’ils portent atteinte à ses droits et libertés garantis par la Constitution et consolidés par les Conventions et les Chartes internationales pertinentes qui ont été ratifiées par l’Algérie ;
Attendu que la Cour suprême a décidé en date du 4 novembre 2024 de renvoyer l’exception d’inconstitutionnalité devant la Cour constitutionnelle, une fois que le parquet général a présenté ses observations écrites et orales ;
Attendu que l’union nationale des ordres des avocats a déposé, par le biais de son président, un mémoire en intervention en date du 1er décembre 2024, celui-ci a été accepté pour avoir été remis dans les délais prévus par la loi d’autant plus que l’union a prouvé son intérêt dans l’intervention ;
Attendu que le Président de la Cour constitutionnelle a avisé les autorités concernées et les parties conformément à la loi, afin de présenter leurs observations écrites dans les délais légaux ;
Attendu que la Cour constitutionnelle a été destinataire des observations écrites du Président du Conseil de la Nation, du Président de l’Assemblée Populaire Nationale et du Premier ministre dans les délais légaux ;
Attendu que la Cour constitutionnelle a reçu les observations écrites formulées par le demandeur à l’exception dans les délais légaux, ainsi que sa réponse quant aux observations écrites du Président du Conseil de la Nation, du Président de l’Assemblée Populaire Nationale, du Premier ministre et de la partie intervenante ;
Attendu que le demandeur à l’exception a formulé une demande de récusation des membres de la Cour constitutionnelle en date du 11 décembre 2024, fondée sur l’article 25 du règlement fixant les règles de fonctionnement de la Cour constitutionnelle, alors qu’il aurait dû s’appuyer sur l’article 26 du dit règlement ;
Attendu que la demande de récusation ne fait référence à aucun nom du membre de la Cour constitutionnelle objet de la demande de récusation, ce qui est contraire aux dispositions de l’article 26 du règlement fixant les règles de fonctionnement de la Cour constitutionnelle et par conséquent, il convient de la rejeter.
Au fond :
Attendu que le demandeur prétend, à travers sa requête, l’inconstitutionnalité des articles 10, 558, 559 et 567 du code de procédure civile et administrative, modifié et complété, qui prévoient, dans leur ensemble, l’obligation du ministère d’avocat devant les juridictions d’appel et de cassation, alléguant qu’ils portent atteinte à ses droits à l’accès et à l’égalité devant la justice, à un procès équitable, à la protection contre l’arbitraire, la violence psychique, morale et physique, et aux institutions qui garantissent les libertés fondamentales, la justice, la défense et l’expression, d’autant plus qu’ils sont garantis par la Constitution en vertu de ses articles 9, 37, 39 (alinéa 2), 165 (alinéas 1er et 2), 171, 177 et 179 (alinéa 1er), ainsi que les Conventions et les Chartes internationales y afférentes, ratifiées par l’Algérie, notamment, la Déclaration universelle des droits de l’Homme, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples et la Charte arabe des droits de l’Homme ;
Attendu que le demandeur à l’exception a fondé son exception sur l’inconstitutionnalité des articles cités ci-dessus, pour avoir prévu l’obligation de représenter le justiciable, par un avocat devant les juridictions d’appel et de cassation, sauf si la loi en dispose autrement, ce qui est en contradiction avec l’article 177 de la Constitution qui prévoit la possibilité de se faire assister par un avocat, ce qui implique la possibilité de s’en passer dans le cas où il serait capable de se défendre. Il ajoute que l’article 360 du code de procédure civile et administrative permet à la Cour suprême de relever d’office un ou plusieurs moyens de cassation en sa qualité de juridiction du droit, conformément à l’article 179 de la Constitution, de ce fait, l’avocat n’est pas indispensable étant donné que les juges de pourvoi en cassation peuvent relever tant les moyens de cassation prévus à l’article 500 du code de procédure pénale que les moyens énoncés par l’article 358 du code de procédure civile et administrative et demander tout document qu’ils estiment nécessaire, conformément à l’article 570 (alinéa 2) ;
Attendu que la Cour suprême a renvoyé le dossier de l’exception d’inconstitutionnalité des dispositions législatives, objet de l’exception d’inconstitutionnalité susmentionnées, après avoir constaté le sérieux de l’exception et souligné que les dispositions législatives, objet de l’exception sont contraires aux dispositions des articles 165 (alinéa 2) et 177 de la Constitution ;
Attendu qu’il est indiqué dans l’avis du parquet général près la Cour suprême que les dispositions législatives, objet de l’exception d’inconstitutionnalité susmentionnées, qui prévoient l’obligation du ministère d’avocat ne sont pas contraires aux dispositions de la Constitution, considérant la spécificité de la Cour suprême étant une juridiction de droit, et du fait que le pourvoi en cassation impose à la défense de soulever des aspects juridiques liés à l’objet du litige, en sus de la particularité de l’exactitude des procédures et techniques du pourvoi en cassation qui nécessitent de la précision et du rôle des moyens évoqués par la défense permettant aux magistrats de la Cour suprême d’exercer leur contrôle sur la bonne application de la loi ;
Attendu qu’en réponse au dossier de l’exception d’inconstitutionnalité, le Président du Conseil de la Nation, le Président de l’Assemblée Populaire Nationale et le Premier ministre ont tous affirmé, dans leurs observations écrites, la constitutionnalité des dispositions législatives, objet de l’exception soulevée, du fait que l’obligation du ministère d’avocat devant la Cour suprême ne porte aucune atteinte au principe constitutionnel prévu par l’article 165 (alinéa 2) de la Constitution qui prévoit que la justice est accessible à tous, d’autant plus qu’en vertu de son article 42, elle garantit aux personnes démunies le droit de se faire assister et représenter par un avocat dans le cadre de l’assistance judiciaire ;
Attendu que la partie intervenante dans l’exception, l’union nationale des ordres des avocats, a souligné, dans son mémoire, que l’obligation de représenter les parties par un avocat devant la Cour suprême est une contrainte organisationnelle visant à renforcer la justice et à garantir la procédure judiciaire dès lors que la Cour suprême est une juridiction de droit et non de faits, ce qui exige un large éventail de compétences spécialisées dans l’analyse des dispositions de la loi, la présentation de plaidoiries, la formation de recours, l’évocation des moyens, ce qui n’est pas possible pour un citoyen quel que soit son niveau d’instruction. Par conséquent, l’obligation du ministère d’avocat devant la Cour suprême prévue par le code de procédure civile et administrative est une réglementation qui ne porte pas atteinte à l’essence du droit d’ester en justice et pourrait même renforcer l’efficacité de l’action judiciaire, et il appartient au législateur de mettre des contraintes réglementaires dans l’intérêt public ;
Attendu que le demandeur à l’exception prétend, dans ses observations écrites, en réponse aux autorités concernées et à la partie intervenante dans l’exception, que leurs réponses sont dénuées de sérieux requis dans le traitement du fond de manière exhaustive et objective, du fait que l’affaire est examinée uniquement du point de vue d’intérêts et de compétences sans pour autant aborder tous les articles, objet de l’exception d’inconstitutionnalité, que le Gouvernement, a abordé, selon lui, le sujet d’un point de vue exécutif étant donné que l’initiative des lois lui appartient, et que les deux chambres du Parlement ont, quant à elles, traité la question d’un point de vue du pouvoir législatif, alors que l’union nationale des ordres des avocats a mis l’accent sur la défense des intérêts de la profession d’avocat plutôt que de se concentrer sur la protection des droits constitutionnels des individus. En outre, ils n’ont pas examiné tous les articles, objet d’inconstitutionnalité, et par conséquent leurs observations sont, selon lui, incomplètes ;
Attendu que la Cour constitutionnelle en vertu de sa décision n° 30/D.C.C/E.I/22 du Aouel Rabie Ethani 1444 correspondant au 26 octobre 2022 relative à l’exception d’inconstitutionnalité des articles 815, 826, 904, 905 et 906 de la loi n° 08-09 du 18 Safar 1429 correspondant au 25 février 2008 portant code de procédure civile et administrative, modifiée et complétée, a déclaré la constitutionnalité de l’obligation de ministère d’avocat devant le Conseil d’Etat eu égard à la particularité du contentieux administratif et au rôle exceptionnel qu’il attribue à la défense pour soulever des aspects juridiques se rapportant au fond du litige, ainsi qu’au rôle fondateur et créateur du juge administratif, en étant parfois le fondateur de la règle régissant le litige ;
Attendu qu’en vertu de sa décision susmentionnée, la Cour constitutionnelle a affirmé que l’obligation du ministère d’avocat prévue par le législateur dans la phase d’appel et de cassation n’exclut pas la possibilité d’ester en justice, au cas où la situation financière et sociale des justiciables ne leur permet pas, du fait que la Constitution leur a accordé le droit à l’assistance judiciaire, en vertu de son article 42, garantissant ainsi le principe énoncé à l’article 165 (alinéa 2) de la Constitution qui dispose que « la justice est accessible à tous » ;
Attendu que dans sa décision citée ci-dessus, la Cour constitutionnelle a jugé que l’obligation du ministère d’avocat ne porte aucunement atteinte aux droits fondamentaux et aux libertés publiques des citoyens tout en leur garantissant en particulier l’égalité dans les droits et libertés devant la loi et la justice, la protection sur pied d’égalité, la non discrimination entre eux et en rendant la justice accessible à tous ;
Attendu que le droit d’ester en justice est garanti au justiciable par le constituant, et que celui-ci a confié au législateur la mission d’en définir les procédures y afférentes devant les juridictions dont celle relative à l’obligation du ministère d’avocat dans certaines phases de la procédure, notamment au niveau des juridictions d’appel et de cassation considérant que le Parlement est seul compétent pour exercer le pouvoir législatif, élaborer et voter la loi souverainement, conformément à l’article 114 de la Constitution, et que les règles générales de procédure pénale et de procédure civile et administrative figurent parmi les domaines dans lesquels légifère le Parlement, conformément à l’article 139 (tirets 7 et 8) de la Constitution ;
Attendu que le rôle de l’avocat consiste en la communication des demandes du justiciable par voie légale devant les juridictions statuant sur les litiges pendants devant elles et en particulier devant la Cour suprême en tant que juridiction de droit et, même lorsque le justiciable se trouve dans l’incapacité d’engager un avocat, la Constitution lui garantit le droit à l’assistance judiciaire, en vertu de l’article 42 de la Constitution susmentionné ;
Attendu que le législateur a, en vertu des articles 10 et 11 de la loi portant organisation de la profession d’avocat, imposé à l’avocat d’apporter son concours au justiciable bénéficiant de l’assistance judiciaire et d’assurer la défense des intérêts de tout justiciable devant toute juridiction dès lors qu’il a été désigné d’office soit gratuitement ou à titre onéreux ;
Attendu que le législateur n’a pas institué le principe de l’obligation du ministère d’avocat de façon absolue, et ne l’a imposé que devant certaines juridictions et au niveau de certaines phases de procédure tels que l’appel et la cassation tout en dispensant les affaires relatives à la famille et aux travailleurs ainsi que les personnes morales tels que l’Etat, la wilaya, la commune et les établissements publics à caractère administratif de cette obligation, conformément aux articles 10, 558, 559 et 567 du code de procédure civile et administrative, suscité ;
Attendu que l’article 177 de la Constitution qui accorde au justiciable le droit d’ester en justice et lui garantit la possibilité de se faire assister par un avocat durant toute la procédure judiciaire, contient une règle générale qui concrétise le droit d’ester en justice et consacre la possibilité de se faire représenter par un avocat, tandis que les articles, objet de l’exception d’inconstitutionnalité cités ci-dessus, sont des règles particulières qui s’appliquent à des phases définies de la procédure qui sont l’appel et la cassation du fait de leur spécificité qui requièrent l’obligation du ministère d’avocat ;
Attendu que l’imposition par le législateur de l’obligation du ministère d’avocat dans l’ordre judiciaire ordinaire durant les phases d’appel et de cassation, qui exigent une expérience, la maîtrise des procédures et des différentes techniques et connaissances juridiques, ne porte nullement atteinte au principe d’égalité des justiciables, bien au contraire, elle le consacre étant donné que l’égalité des justiciables devant la justice nécessite de trouver l’équilibre et l’égalité de chances entre eux, et ce, en leur permettant de bénéficier des moyens de défense équilibrés et, notamment, la représentation par un avocat.
Par ces motifs :
La Cour constitutionnelle décide de ce qui suit :
Premièrement : déclare la constitutionnalité des articles 10, 558, 559 et 567 de la loi n° 08-09 du 18 Safar 1429 correspondant au 25 février 2008, modifiée et complétée, portant code de procédure civile et administrative.
Deuxièmement : le Président de la République, le Président du Conseil de la Nation, le Président de l’Assemblée Populaire Nationale et le Premier ministre sont informés de la présente décision.
Troisièmement : la présente décision est notifiée au Premier Président de la Cour suprême.
Quatrièmement : la présente décision sera publiée au Journal officiel de la République algérienne démocratique et populaire.
Ainsi en a-t-il été délibéré par la Cour constitutionnelle en sa séance du 7 Rajab 1446 correspondant au 7 janvier 2025.
Le Président de la Cour constitutionnelle
Omar BELHADJ
— Leïla Aslaoui, membre ;
— Bahri Saadallah, membre ;
— Mosbah Menas, membre ;
— Naceurdine Saber, membre ;
— Ameldine Boulanouar, membre ;
— Fatiha Benabbou, membre ;
— Abdelouaheb Kherief, membre ;
— Abbas Ammar, membre ;
— Abdelhafid Ossoukine, membre ;
— Ammar Boudiaf, membre ;
— Mohamed Bouterfas, membre.