République Algérienne
Démocratique et Populaire
Cour constitutionnelle
الجمهورية الجزائرية
الديمقراطية الشعبية
المحكمة الدستورية

Avis 2023

Avis n° 01/A.C.C/I.C/23 du 20 Moharram 1445 correspondant au 7 août 2023 relatif à l’interprétation de l’article 127 de la Constitution.

  La Cour constitutionnelle,

Sur saisine par le président de l’Assemblée Populaire Nationale de la Cour constitutionnelle conformément aux dispositions de l’article 192 (alinéa 2) de la Constitution, par lettre datée du 30 juillet 2023 et enregistrée au greffe de la Cour constitutionnelle en date du 31 juillet 2023 sous le numéro 06/23, aux fins d’interpréter l’article 127 de la Constitution ;

Vu la Constitution, notamment en ses articles 185, 192 (alinéa 2), 193, 194 et 197 (alinéa 1er) ; Vu la loi organique n° 12-02 du 18 Safar 1433 correspondant au 12 janvier 2012 fixant les cas d’incompatibilité avec le mandat parlementaire ;

 Vu l’ordonnance n° 21-01 du 26 Rajab 1442 correspondant au 10 mars 2021, modifiée et complétée, portant loi organique relative au régime électoral ;

Vu l’ordonnance n° 21-02 du 2 Chaâbane 1442 correspondant au 16 mars 2021 déterminant les circonscriptions électorales et le nombre de sièges à pourvoir pour les élections du Parlement ;

Vu la loi organique n° 22-19 du 26 Dhou El Hidja 1443 correspondant au 25 juillet 2022 fixant les procédures et modalités de saisine et de renvoi devant la Cour constitutionnelle, notamment son article 13 ;

Vu l’ordonnance n° 66-155 du 8 juin 1966, modifiée et complétée, portant code de procédure pénale ;

Vu l’ordonnance n° 66-156 du 8 juin 1966, modifiée et complétée, portant code pénal ; Vu la loi n° 01-01 du 6 Dhou El Kaâda 1421 correspondant au 31 janvier 2001 relative au membre du Parlement ; Vu la loi n° 06-01 du 21 Moharram 1427 correspondant au 20 février 2006, modifiée et complétée, relative à la prévention et à la lutte contre la corruption ;

Vu le règlement du 9 Safar 1444 correspondant au 5 septembre 2022 fixant les règles de fonctionnement de la Cour constitutionnelle, notamment ses articles 15 et 17 ;

Vu le règlement intérieur de la Cour constitutionnelle du 10 Safar 1444 correspondant au 6 septembre 2022, notamment ses articles 29, 31, 32, 33, 34, 35 et 36 ;

Vu le règlement intérieur de l’Assemblée Populaire Nationale du 17 Rabie El Aouel 1418 correspondant au 22 juin 1997, modifié et complété ;

Après avoir entendu les membres rapporteurs,

 Après délibération,

En la forme :

Attendu que la saisine aux fins d’interpréter une disposition constitutionnelle a été présentée par le Président de l’Assemblée Populaire Nationale conformément à l’article 192 (alinéa 2) de la Constitution ;

Attendu que le Président de l’Assemblée Populaire Nationale est habilité à saisir la Cour constitutionnelle conformément à l’article 193 (alinéa 1er) de la Constitution ;

 Au fond :

 Attendu que l’article 127 de la Constitution, objet de l’interprétation, prévoit que :

« Le député ou le membre du Conseil de la Nation engage sa responsabilité devant ses pairs qui peuvent révoquer son mandat s’il commet un acte indigne de sa mission.

Le règlement intérieur de chacune des deux chambres fixe les conditions dans lesquelles un député ou un membre du Conseil de la Nation peut encourir l’exclusion. Celle-ci est prononcée, selon le cas, par l’Assemblée Populaire Nationale ou par le Conseil de la Nation, à la majorité de ses membres sans préjudice de toutes autres poursuites prévues par la loi » ;

Attendu que le Président de l’Assemblée Populaire Nationale a sollicité l’interprétation, au profit de l’Assemblée Populaire Nationale, de la disposition constitutionnelle susmentionnée, notamment dans le cas d’une condamnation par jugement définitif à une peine de prison ferme, ainsi que l’illustration de l’application des articles 73 et 74 du règlement intérieur de l’Assemblée Populaire Nationale qui déterminent les procédures à suivre quant à la déchéance du mandat d’un député à savoir que :

 — le bureau de l’Assemblée Populaire Nationale, sur avis du ministre de la justice, garde des sceaux, déclenche la procédure de la déchéance du mandat d’un député à travers la transmission de la demande de déchéance à la commission chargée des affaires juridiques ;

— la commission examine la demande de déchéance du mandat et entend le député concerné. Lorsqu’elle conclut à l’acceptation de la demande, elle transmet l’affaire à l’Assemblée Populaire Nationale pour statuer par voie de scrutin secret à la majorité de ses membres à huit clos après audition du rapport de la commission et du député concerné qui peut se faire assister par un de ses collègues ;

Attendu que l’article 74 évoque la possibilité de révocation du mandat d’un des membres de l’Assemblée Populaire Nationale lorsqu’un jugement définitif est rendu à son encontre le condamnant pour avoir accompli un acte indigne de son mandat, et ce, sur proposition du bureau agissant à la requête de l’instance judiciaire compétente ;

Attendu que dans le domaine de la justice constitutionnelle, la demande d’interprétation des dispositions de la Constitution ne relève pas du contentieux qui exige l’existence des parties ou des plaignants et l’exercice du droit à la défense, toutefois, elle revêt une importance particulière étant donné qu’elle vise à lever toute ambiguité entachant une ou plusieurs dispositions de la Constitution afin de révéler leur sens et d’en explorer leur contenu et leur teneur à travers leur structure grammaticale sans pour autant aller au delà de leur sens et ce dans le but d’une application correcte des dispositions constitutionnelles ;

Attendu que l’interprétation d’une disposition constitutionnelle ne peut se faire indépendamment de celles déterminées par d’autres dispositions de la Constitution ayant un lien avec la disposition, objet de l’interprétation, et ce eu égard au rang et à la primauté de la Constitution, formant un seul et unique dispositif indivisible.

Cela étant, il est impératif d’établir un lien entre les dispositions constitutionnelles afin de lever toute ambiguité et équivoque entachant le corps du texte, établir l’exacte signification et teneur, faciliter une meilleure compréhension et enfin assurer une application uniforme ;

Attendu que l’interprétation d’une disposition contenue dans la Constitution ne peut se faire indépendamment des dispositions déterminées par d’autres dispositions de la Constitution qui ont un lien avec la disposition objet de l’interprétation eu égard la primauté de la Constitution comme entité unique, ce qui implique que ses dispositions sont liées entre elles et ce dans le but de lever toute ambigüité et toute équivoque dans le corps du texte pour en dégager l’exacte signification et pour une meilleure compréhension de son contenu, son objectif, et pour assurer une application uniforme ;

Attendu que le principe de l’interprétation des dispositions est de se conformer aux objectifs et aux buts pour lesquels elles ont été légiférées, qu’elles se lisent dans leur véritable sens et dans leur contexte, afin d’éviter d’ouvrir la voie à diverses interprétations qui s’écartent de l’objectif visé, étant donné que les dispositions constitutionnelles sont rédigées pour atteindre un objectif fixé par le constituant ;

Attendu que l’article 192 (alinéa 2) de la Constitution stipule que les instances énumérées à l’article 193 de la Constitution peuvent, en vue de l’interprétation d’une ou de plusieurs dispositions constitutionnelles, saisir la Cour constitutionnelle qui émet un avis à ce propos ;

Attendu que cette disposition a donné compétence exclusive à la Cour constitutionnelle pour interpréter les dispositions constitutionnelles sans toutefois créer une nouvelle disposition, son interprétation n’étant qu’un avis de nature à s’incorporer au texte, objet de l’interprétation devenant ainsi son prolongement dans le sens que la Cour constitutionnelle a entendu procurer ;

Attendu que le constituant prévoit la question de responsabilité du député devant ses collègues lorsque qu’il ne respecte pas les règles lors de l’exercice de son mandat en accomplissant un acte indigne de son mandat, tout en lui accordant le droit à la défense lors de la redevabilité ;

Attendu qu’il revient au bureau de l’Assemblée Populaire Nationale d’apprécier le caractère sérieux de la demande de la levée de l’immunité, la décision de la levée de l’immunité ne peut être rendue que si l’existence de certains principes fondamentaux est établie, à savoir :

Premièrement : respect de la présomption d’innocence en toutes circonstances.

Deuxièmement : respect du principe de la séparation des pouvoirs.

Troisièmement : prudence afin d’éviter la divulgation du secret de l’instruction.

Après examen par le bureau de l’Assemblée, des demandes du ministère de la justice par l’intermédiaire du ministère public, évoquant les mesures envisagées et les motifs tout en notant que l’autorisation ne porte que sur les actes décrits dans la demande dont il peut accepter ou rejeter ;

Attendu que le rejet de la demande de déchéance du mandat d’un député par l’Assemblée Populaire Nationale n’entraine pas la levée de l’immunité dont le député jouit toujours tant qu’un jugement le condamnant n’a pas été rendu, sachant que le député peut renoncer à son immunité lorsqu’il fait l’objet d’une poursuite judiciaire pour les actes ne se rattachant pas à l’exercice de ses fonctions parlementaires. En cas de non renonciation, les autorités de saisine peuvent saisir la Cour constitutionnelle aux fins de se prononcer, par décision, sur la possibilité ou pas de la levée de l’immunité en application de l’article 130 de la Constitution. Néanmoins, en cas de flagrant délit ou de crime flagrant, il peut faire l’objet d’arrestation du point de vue constitutionnel, et ce après la saisine immédiate du bureau de l’Assemblée Populaire Nationale. Dans ce cas, le bureau peut, en vertu de l’article 131 (alinéa 2), demander la suspension des poursuites et la mise en liberté du député ;

Attendu que d’autre part, et selon l’article 200 de l’ordonnance n° 21-01 portant loi organique relative au régime électoral susmentionnée, le député qui a fait l’objet d’une condamnation définitive à une peine privative de liberté pour crimes ou délits et non réhabilité, à l’exception des délits involontaires, ne peut se porter candidat à toute élection, d’autant plus qu’il ne doit pas être « connu d’une manière notoire pour avoir eu des liens avec l’argent douteux et les milieux de l’affairisme et pour son influence directe ou indirecte sur le libre choix des électeurs ainsi que sur le bon déroulement des opérations électorales » ;

Attendu qu’il est constant que l’immunité parlementaire est un privilège permettant au député d’exercer librement son mandat sans s’exposer à des poursuites judiciaires. Elle constitue une protection à son indépendance et une garantie pour le bon fonctionnement de l’activité parlementaire. Le parlementaire ne peut faire l’objet de poursuite, d’arrestation, d’incarcération ou de condamnation en raison de ses opinions ou son vote qu’il émet lors de l’accomplissement de ses missions. Ainsi, il bénéficie de l’exemption de responsabilité et de l’inviolabilité de sa personne comme privilèges accordés non pas pour son propre intérêt mais pour celui du Parlement et pour la réputation de l’Etat, eu égard à l’ampleur et à la grandeur de la mission du député qui représente la volonté du peuple, la Constitution lui a instauré un système dérogatoire par rapport aux règles générales régissant sa relation avec la justice et non pas pour l’intérêt étroit de celui-ci qui pourrait être poursuivi simplement pour sa qualité de député ;

Attendu qu’il est établi que les aspects ayant trait à la responsabilité du député, tant pénale que civile, peuvent être liés à la responsabilité morale telle qu’énoncé indirectement à l’article 127 de la Constitution suscité lorsqu’il utilise l’expression « indigne de sa mission » ;

Attendu qu’en matière de poursuites pénales, l’inviolation de la personne du député a pour objet l’interdiction de l’arrestation ou la prise de toute mesure qui pourrait porter atteinte à sa liberté ou à sa restriction sauf si le bureau de la chambre à laquelle il appartient l’autorise. Tandis que dans le cas de flagrant délit ou crime flagrant ou après le prononcé d’un jugement définitif le condamnant, cette autorisation n’est pas requise, étant donné qu’il est constant que la commission d’un flagrant délit ou d’un crime flagrant n’exige pas l’autorisation du Parlement pour la levée de l’immunité du député impliqué pour le poursuivre, et que peut faire l’objet d’arrestation et de poursuite dans les mêmes conditions générales que n’importe quel citoyen. Enfin, il suffit juste d’adapter la notion de « flagrant délit » d’une manière rigoureuse afin d’éviter un excès de justice quant à l’application de cette condition ;

Attendu que l’article 127 de la Constitution renvoi au règlement intérieur de chacune des deux chambres du Parlement quant à la fixation des conditions dans lesquelles un membre du Parlement peut encourir l’exclusion ;

Attendu que le règlement intérieur de chacune des deux chambres du Parlement est soumis au contrôle de la Cour constitutionnelle avant son entrée en vigueur, conformément aux dispositions de l’article 190 (alinéa 6) de la Constitution, ce qui lui permet d’évaluer l’impact de ces conditions sur l’exercice du mandat du député ;

Attendu que l’article 127 n’à pas connu d’application à la lumière de l’amendement constitutionnel de 2020 et que son application antérieure n’a fait l’objet d’aucune contestation quant à son contenu ou ses procédures ;

Attendu qu’après lecture de l’article 127 de la Constitution et eu égard aux motifs cités ci-dessus, la Cour constitutionnelle émet l’avis suivant :

Premièrement : les dispositions de l’article 127 de la Constitution ne présentent aucune ambiguïté quant à la responsabilité du député devant ses pairs, qui peuvent révoquer son mandat ou procéder à son exclusion.

Deuxièmement : le présent avis sera notifié au Président de l’Assemblée Populaire Nationale.

Troisièmement : le présent avis sera publié au Journal officiel de la République algérienne démocratique et populaire.

Ainsi en a-t-il été délibéré par la Cour constitutionnelle en sa séance tenue le 20 Moharram 1445 correspondant au 7 août 2023.

Le Président de la Cour constitutionnelle

Omar BELHADJ

Leïla ASLAOUI, membre ;

Bahri SAADALLAH, membre ;

Mosbah MENAS, membre ;

Ameldine BOULANOUAR, membre ;

Fatiha BENABBOU, membre ;

Abdelouahab KHERIEF, membre ;

Abbas AMMAR, membre ;

Abdelhafid OSSOUKINE, membre ;

Ammar BOUDIAF, membre.

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