Le Conseil Constitutionnel,
Saisi par le Président de la République, conformément aux articles 67, alinéa 2.153.155 et 156 de la Constitution, par lettre n°259-SGG datée du 8 août 1989, enregistrée au Conseil Constitutionnel le 13 août 1989, sous le n°1-S-CC-89, sur la constitutionnalité des dispositions de la loi n° 89-13 du 7 août 1989, publiée au Journal Officiel de la République Algérienne Démocratique et Populaire, n°32 du 7 août 1989, et notamment de ses articles n° 61, 62, 82, 84, 85, 86, 91, 108, 110 et 111 ;
—Vu la Constitution en ses articles 153, 154, 155, 156, 157 et 159 ;
—Vu le règlement du 7 août 1989 fixant les procédures de fonctionnement du Conseil Constitutionnel, paru au Journal Officiel de la République Algérienne Démocratique et Populaire, n°32 du 7 août 1989.
—Le rapporteur entendu.
1.- Sur les articles 61, 62 et 84 pris ensemble à raison de la similitude de l’objet qu’ils traitent puisque, les articles 61 et 84, traitant des modes de scrutin pour l’élection des assemblées populaires et l’article 62 précisant la façon dont s’opère la répartition des sièges suivant un scrutin de liste proportionnelle avec prime à la majorité à un tour.
—Considérant qu’aucune disposition de la Constitution ne fixe de règle particulière relative au mode de scrutin, que dès lors le choix du mode de scrutin relève, conformément à l’article 115, paragraphe 10 de la Constitution, de la compétence exclusive du législateur ;
—Considérant que l’intention du constituant vise à permettre la représentation la plus large de la volonté populaire, sachant que tout mode de scrutin, dans ses détails, peut susciter des réserves de principe ;
—Considérant que les modes de scrutin retenus ne comportent pas d’éléments discriminatoires incompatibles avec les principes constitutionnels relatifs aux droits politiques des citoyens ;
—Que le scrutin de liste proportionnelle avec prime à la majorité à un tour, n’est qu’une modalité de répartition des sièges à pourvoir au sein des assemblées populaires et n’altère pas le choix électoral du citoyen ;
—Que la prime accordée à la liste obtenant la majorité simple est exclusive de toute participation à la répartition des sièges restant à pourvoir ;
—Que cette prime n’est pas discriminatoire et qu’elle procède du choix souverain du législateur soucieux de concilier les nécessités d’une représentation populaire équitable et les exigences d’une gestion efficace des affaires publiques .
En conséquence, le Conseil Constitutionnel déclare que les articles 61, 62 et 84 de la loi n° 89-13 du 7 août 1989 portant loi électorale ne heurtent aucune disposition de la Constitution ;
II – Sur les articles 82 et 85 pris ensemble en ce qu’ils traitent respectivement des inéligibilités aux assemblées populaires communales et à l’assemblée populaire nationale.
Considérant que le législateur, en disposant que les personnes exerçant les fonctions visées aux articles 82 et 85 de la loi électorale sont inéligibles aux assemblées populaires communales et nationale, entendait leur interdire de postuler un mandat électif durant l’exercice de leurs fonctions et pendant un an après la cessation de leur fonction, de poser leur candidature à un mandat électif dans le dernier ressort où elles ont exercé.
Dit que toute autre lecture qui consisterait à étendre cette dernière exigence à tous les ressorts où elles ont pu exercer auparavant, serait de nature discriminatoire et sans fondement et que sous cette réserve, les dispositions des articles 82 et 85 ne portent atteinte à aucune disposition constitutionnelle.
Que, toutefois, le Conseil constitutionnel relève l’absence, dans le dispositif de la loi qui lui a été soumise, de toute condition d’inéligibilité à l’assemblée populaire de wilaya, que cela ne peut résulter que d’une omission car dans le cas contraire elle pourrait s’analyser comme une discrimination par rapport aux candidats aux autres assemblées populaires.
III – Sur l’article 86 relatif aux conditions d’éligibilité à l’Assemblée Populaire Nationale, le Conseil Constitutionnel considère que si la condition d’âge requise ne soulève aucune remarque particulière, il en va tout autrement de l’exigence pour les candidats et leurs conjoints d’être de nationalité algérienne d’origine.
Considérant qu’aux termes des dispositions de l’article 47 de la Constitution, il est reconnu, à tous les citoyens remplissant les conditions légales, d’être électeur et éligible, que les dispositions légales prises en la matière peuvent imposer des conditions à l’exercice de ce droit mais ne peuvent le supprimer totalement pour une catégorie de citoyens algériens en raison de leur origine ;
—Qu’en d’autres termes, l’exercice de ce droit ne peut faire l’objet que des seules restrictions nécessaires, dans une société démocratique, pour protéger les libertés et les droits énoncés dans la Constitution et en garantir le plein effet ;
—Considérant que l’ordonnance n° 70-86 du 15 décembre 1970 portant code de la nationalité a défini les conditions d’acquisition, de déchéance, et en précisant, notamment, les effets de l’acquisition de la nationalité algérienne, a consacré des droits et particulièrement celui d’être investi d’un mandat électif cinq ans après avoir obtenu la nationalité algérienne, ce délai pouvant être, du reste, supprimé par le décret de naturalisation ;
—Considérant que cette disposition légale ne peut souffrir une application sélective ni partielle ;
—Que par ailleurs, la nationalité algérienne d’origine n’est pas exigée pour les candidats à un mandat électif au sein des assemblées populaires communales et de wilaya ;
Considérant que l’article 28 de la Constitution, consacre le principe d’égalité des citoyens devant la loi sans que puisse prévaloir aucune discrimination pour cause de naissance, de race, de sexe, d’opinion ou de toute autre condition ou circonstance personnelle ou sociale ;
—Considérant qu’après sa ratification et dès sa publication, toute convention s’intègre dans le droit national et en application de l’article 123 de la constitution, acquiert une autorité supérieure à celle des lois, autorisant tout citoyen algérien de s’en prévaloir devant les juridictions, que tel est le cas notamment des pactes des Nations Unies de 1966 approuvés par la loi 89-08 du 25 avril 1989 et auxquels l’Algérie a adhéré par décret présidentiel n°89-67 du 16 mai 1989, ainsi que la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples ratifiée par décret n°87-37 du 3 février 1987, ces instruments juridiques interdisant solennellement les discriminations de tous ordres ;
—Considérant qu’il appartient aux électeurs d’apprécier l’aptitude de chaque candidat à assumer une charge publique ;
—En conséquence, le Conseil Constitutionnel déclare non conforme à la constitution, l’exigence de la nationalité d’origine pour le candidat aux élections législatives ;
Dit également que l’alinéa 3 de l’article 86, qui dispose que le conjoint doit être de nationalité algérienne d’origine ainsi que le dernier alinéa de ce même article non conformes à la Constitution en ce qu’ils imposent une condition à la fois extrinsèque au candidat et de nature discriminatoire.
IV – Concernant l’article 108 de la loi électorale imposant que la déclaration de candidature à la Présidence de la République soit accompagnée d’un certificat de la nationalité d’origine du conjoint;
—Considérant les dispositions de l’article 67 de la Constitution qui stipulent que le Président de la République, Chef de l’Etat, incarne l’unité de la Nation et qu’il est garant de la Constitution ;
—Considérant que le constituant, eu égard à la nature et à l’importance des attributions dévolues au Président de la République, a décidé que les conditions de son éligibilité soient fixées par une forme supérieure à celle qui définit les conditions auxquelles doivent satisfaire les candidats à tout autre mandat électif, qu’à ce propos, l’article 70 de la Constitution a arrêté d’une manière limitative les conditions d’éligibilité à la Présidence de la République ;
Considérant que l’unique renvoi à la loi figure expressement à l’article 68 et concerne exclusivement les modalités de l’élection présidentielle ;
—Considérant que l’exigence de la production par le candidat d’un certificat de nationalité d’origine du conjoint ne saurait être assimilée à une modalité de l’élection présidentielle et constitue, en fait, une condition supplémentaire d’éligibilité ;
—Qu’en outre, elle introduit une discrimination contraire aux dispositions constitutionnelles et aux pactes ci-dessus visés ;
En conséquence, le Conseil Constitutionnel, déclare le troisième alinéa de l’article 108 non conforme à la Constitution.
V – Sur l’article 110 qui dispose que la candidature à la Présidence de la République doit être expressément agréée et présentée par une ou plusieurs associations politiques et qu’en outre, elle doit être appuyée par six cents (600) signatures d’élus des assemblées populaires ;
—Considérant que l’obligation pour le candidat à la Présidence de la République de produire un agrément, tel que défini à l’article 110, élimine pratiquement les candidats hors associations à caractère politique ;
—Considérant qu’il s’agit en l’occurrence d’un obstacle à l’exercice d’un droit consacré par l’article 47 de la Constitution ;
—Considérant que l’obligation pour le candidat à la Présidence de la République d’appuyer sa candidature par six cents (600) signatures d’élus constitue une caution importante et en elle-même suffisante, qu’en conséquence le membre de phrase de l’alinéa premier de l’article 110 de la loi électorale ainsi libellé : “la candidature doit être expressément agréée et présentée par une ou plusieurs associations à caractère politique” est déclaré non conforme à la Constitution ;
VI – Sur les articles 111 et 91 pris ensemble du fait que le premier dispense le Président de la République en exercice des conditions requises à l’article 110 et que le second en son alinéa 3, ne soumet pas le député sortant, dans le cas où il ne se représente pas sous l’égide d’une association à caractère politique, à l’obligation d’appuyer sa candidature par la signature de 10 % des élus de sa circonscription ou de cinq cents (500) signatures d’électeurs de cette même circonscription ;
—Considérant que le principe fondamental de la souveraineté populaire et le fonctionnement normal du système démocratique commandent que les détenteurs d’un mandat électoral le remettent impérativement à l’échéance à l’électorat à qui il appartient d’apprécier la façon dont il a été exécuté;
—Considérant qu’aux termes des dispositions de l’article 47 qui reconnaissent à tous les citoyens le droit d’être éligible et de l’article 28 de la Constitution qui consacrent l’égalité de tous devant la loi, les candidats à toute élection doivent également remplir les mêmes obligations et jouir des mêmes droits ;
—Considérant qu’une telle dispense est susceptible d’être appréciée comme constituant une rupture au principe d’égalité de traitement des candidats ;
En conséquence, le Conseil Constitutionnel déclare l’article 111 et le 3ème alinéa de l’article 91 de la loi électorale non conformes à la Constitution.
Cependant, le Conseil Constitutionnel considère que l’article 91, en ses alinéas 1 et 2, pose des conditions de présentation des candidats à l’élection législative et que l’alternative offerte aux candidats n’est pas de nature à créer des situations contraires à l’esprit et à la lettre de la Constitution et que par conséquent, les alinéas 1 et 2 de l’article 91 sont conformes à la Constitution.
VII – Considérant qu’il n’y a pas lieu pour le Conseil Constitutionnel de soulever de question de conformité à la Constitution pour les autres dispositions de la loi soumise à son examen par le Président de la République ;
DECIDE
1 – Sont déclarés non conformes à la Constitution:
a) l’exigence de la nationalité d’origine du candidat et de son conjoint contenue dans l’article 86 de la loi électorale ; l’article 86 sera libellé ainsi :
” Art. 86. —Le candidat à l’assemblée populaire nationale doit être :
—âgé de 30 ans au moins, le jour des élections,
— de nationalité algérienne ”.
b) l’alinéa 3 de l’article 91 de la loi électorale ; l’article 91 sera libellé ainsi :
”Art. 91. — Sous réserve des conditions requises par la loi, la liste visée à l’article 89 de la présente loi doit être expressément agréé par une ou plusieurs associations à caractère politique.
Lorsque le candidat ne se présente pas sous l’égide d’une association à caractère politique, il doit appuyer sa candidature d’au moins 10 % des élus de sa circonscription, ou de 500 signatures des électeurs de sa circonscription électorale”.
c) l’alinéa 3 de l’article 108 de la loi électorale ; l’article 108 sera libellé ainsi :
”Art. 108. — La déclaration de candidature à la Présidence de la République résulte du dépôt d’une demande auprès du Conseil Constitutionnel.
— Elle comporte la signature et les noms et prénoms, date et lieu de naissance, profession et domicile du candidat.
— Un récépissé de dépôt est délivré au candidat”.
d) l’exigence pour la candidature à la Présidence de la République, d’être expressément agréée et présentée par une ou plusieurs associations à caractère politique, contenue dans l’article 110 alinéa premier de la loi électorale ; l’article 110 sera libellé ainsi :
”Art. 110. — Outre les conditions fixées par l’article 70 de la Constitution et les dispositions de la présente loi, le candidat doit présenter une liste comportant au moins six cents (600) signatures de membres élus d’assemblée populaire communale, de la wilaya et nationale et répartis au moins à travers la moitié des wilayas du territoire national”.
e) L’article 111 de la loi électorale.
2 – Sous le bénéfice des réserves ci-dessus exprimées, sont déclarés conformes à la Constitution les articles 62, 82 et 85 de la loi électorale.
3 – Sont déclarés conformes à la constitution les articles 61 et 84 ainsi que les autres dispositions de la loi électorale soumises à son examen.
4 – La présente décision sera publiée au Journal Officiel de la République Algérienne Démocratique et Populaire.
Ainsi en a-t-il été délibéré par le Conseil Constitutionnel dans sa séance du vingt août mille neuf cent quatre vingt neuf.
Le Président du Conseil Constitutionnel
A. BENHABYLES